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de Brera et par sa Madone du musée de Berlin, on peut bien dire qu’il est au rang des meilleurs peintres de l’école ombrienne. Il éleva son fils avec une tendresse extrême. Homme de sens et de jugement, dit de lui Vasari, avec raison cette fois, il savait combien il importe de ne pas confier à des mains étrangères un enfant qui pourrait contracter des habitudes basses et grossières parmi des gens sans éducation. Aussi voulut-il que ce fils unique et désiré fût nourri du lait de sa mère, et pût dès les premiers instans de sa vie s’accoutumer aux mœurs paternelles. Giovanni fut le premier maître de son fils. De très bonne heure, le jeune homme l’aida dans ses travaux, et s’il a plus tard imité la disposition et les types du Pérugin, on reconnaît cependant dans ses premiers ouvrages un sentiment vrai, fort, un goût pur qui rappelle la manière de son père. C’est au milieu de cette famille honnête, dans ces habitudes de travail, aimé par une tendre mère, guidé par un homme intelligent, que grandit Raphaël. Une admirable nature frappa ses premiers regards. À l’âge où les impressions sont ineffaçables, il respira au foyer paternel l’enthousiasme mystique qui, dans l’école d’Ombrie, était une religion plutôt qu’une simple tradition d’art. Cet ensemble heureux de circonstances devait être bientôt brisé. Sa mère, Magia Ciarla, mourut en 1491 ; il perdit son père trois ans plus tard, le 1er août 1494 ; il n’était alors âgé que de onze ans et quatre mois.

Il est vraisemblable que, pendant les deux ou trois années qui s’écoulèrent avant son entrée dans l’atelier du Pérugin, le jeune Raphaël demeura dans sa ville natale, confié aux soins de son oncle maternel, Simone di Batista Ciarla. Il est bien permis de conclure de la précocité de son talent, et du goût passionné qu’il avait montré dès son plus jeune âge pour la peinture, que pendant ce temps il n’abandonna pas ses études. Il vit probablement alors Signorelli, qui travaillait à Urbin en 1494, et Timoteo Viti, élève de Francia, qui y revint l’année suivante ; mais on ne possède aucuns détails qui méritent quelque confiance sur les années qui suivirent la mort de son père. C’est à la fin de 1495 ou en 1496 qu’on le confia au Pérugin[1]. Vasari raconte avec son assurance accoutumée que Giovanni (mort depuis un an ou deux) conduisit lui-même son fils à Pérouse ; il parle aussi des larmes que cette séparation coûta à sa mère ! — La fin de sa narration n’a cependant rien d’improbable. « Lorsque Pietro vit les dessins de Raphaël, dit-il, sa jolie figure, ses gentilles manières et son air naïf et gracieux, il en porta d’avance le jugement que la postérité a ratifié. »

  1. Le Pérugin ne termina ses fresques de la chapelle Sixtine qu’à la fin de 1495, et ne revint par conséquent pas avant cette époque à Pérouse.