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Naples, développèrent et répandirent au loin les doctrines ombriennes ; mais, arrivée avec ces trois maîtres à son apogée, cette école déclina rapidement. Elle ne disparut pas, mais se transforma. D’essentiellement ecclésiastique qu’elle avait été jusque-là, elle devint laïque. Ses derniers représentais avaient vu Florence, Milan, Mantoue et Venise ; ils avaient pu connaître Jean Bellin, Léonard, Mantegna, Signorelli. La seconde école d’Ombrie, tout en conservant le caractère mystique, tout en restant dans la voie traditionnelle à l’égard des sujets, des types, de la composition générale, profita dans une certaine mesure des progrès accomplis dans les autres écoles d’Italie. Elle devint plus savante et moins naïve : gagna-t-elle à cette transformation autant qu’elle y perdit ? Pinturicchio, Pérugin, sont assurément de grands peintres ; mais au temps où ils vivaient, la faiblesse comparative de leurs œuvres n’avait plus ni motifs ni excuse, et quant au sentiment religieux qu’elles présentent, il est souvent systématique et conventionnel. Sans force et sans audace, cette école n’a rien de ce qui place si haut celle de Florence ; elle n’a pas davantage l’émotion, l’intimité, la ferveur qu’on trouve dans les moindres compositions du moine de Saint-Marc. Elle ne devait cependant pas périr. Précisément à l’heure où elle allait se perdre dans le grand courant florentin, un merveilleux génie apparut. Raphaël hérita de ce qu’elle conservait de véritablement fécond ; sa belle, facile et heureuse nature reçut et développa ces germes qui chez tout autre auraient dégénéré. Il les transporta à temps dans le terrain fertile du naturalisme, mais les œuvres qui en sortirent gardèrent toujours, comme un signe de leur origine, le parfum des montagnes natales.

Ce n’est pas s’écarter de la direction particulière imprimée de nos jours à la critique d’art que de chercher à rétablir, même après l’appréciation d’un excellent juge[1], les traits principaux de la physionomie de Raphaël, en s’attachant surtout ici, comme dans des travaux précédens[2], à éclairer l’analyse des œuvres par celle du caractère. Les études sérieuses sur l’histoire des beaux-arts semblent, depuis quelques années, reprendre faveur en France, et notre littérature tend à conquérir le rang qu’elle y doit occuper, en suivant une voie où nous nous étions laissé devancer par l’Angleterre, par l’Italie, et surtout par l’Allemagne. C’est par Raphaël que l’on a commencé, et il faut espérer que les autres maîtres de l’art moderne ne tarderont point à avoir leur tour. Il y a trente ans déjà que M. Quatremère de Quincy donnait une histoire du peintre d’Urbin

  1. M. Planche dans la Revue du 1er janvier 1848.
  2. Voyez les études sur Michel-Ange et Léonard de Vinci, Revue du 1er juillet 1859 et du 1er avril 1860.