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morte, frappée par la dernière et suprême atteinte d’une maladie de cœur…

Norbert, averti par un billet d’Yvonne de la catastrophe qui avait ému tout le village, passa dans un abattement profond le temps qui s’écoula entre la mort de la duchesse et ses funérailles. La tempête, qui continuait de sévir, semblait remplir la montagne de cris funèbres et de sanglots. De même que dans notre Orient on répand sur les morts chéris des plaintes improvisées, ainsi la nature tout entière avait l’air de pleurer la belle fleur de Noël prématurément arrachée de sa tige par les vents meurtriers. N’aimerait-on point à penser qu’elle ne reste point insensible à ces jeunes trépas, et qu’elle verse sur ces tombes trop vite creusées quelques larmes maternelles ? Quelquefois dans les Alpes les nuages chargés de pluie s’abaissent si pesamment vers la terre, que le regard désolé essaie en vain de chercher au ciel un rayon de lumière. Bois, rochers, rivières et lacs disparaissent dans le vêtement lugubre dont s’enveloppe toute la création. Le soir où, paré de colchiques dont la corolle violette semble faite pour le deuil, le cercueil fut confié à la terre, jamais peut-être les montagnes grisonnes n’avaient été plus profondément plongées dans les lourdes vapeurs de l’automne. Aux bruits de l’orage avait succédé un calme plus triste encore, interrompu seulement par la voix rauque de quelques corbeaux qui secouaient leurs ailes au sommet des noirs sapins.

Perdu dans la foule, un jeune homme, qui frissonnait sous son manteau, prêtait une oreille parfois distraite et parfois attentive aux magnifiques lamentations de la liturgie des morts. La religion en deuil, empruntant à la poésie orientale ses plus pathétiques accens, gémissait sur la vie humaine, qui « disparaît au moindre souffle comme une vapeur, » elle parlait de ces « jours qui déclinent aussi vite que l’ombre » et de cette existence « qui sèche comme l’herbe des champs. » Lorsqu’il entendit ces douloureuses paroles, le jeune homme pressa sur ses lèvres une fleur fanée. C’était une rose de Noël cueillie dans le parc où Ghislaine, destinée à mourir presque aussitôt qu’elle, s’épanouissait autrefois dans toute la splendeur de la jeunesse.


DORA D’ISTRIA.