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sveltes peupliers frissonnaient au souffle de la brise. Je ne pouvais m’empêcher de comparer la sérénité de cette nature enchantée et le front chargé d’orages de ma belle compagne. Quoique je n’attache pas beaucoup plus d’importance aux pressentimens qu’aux présages, je luttais avec peine contre les pensées sinistres qui se pressaient dans mon âme. Le caractère hautain de la jeune duchesse, joint à la faiblesse de sa tête, n’était-il pas de nature à faire craindre les résolutions les plus précipitées et les moins raisonnables ? L’infortunée jeune femme avait en partage tout ce qui peut assurer le bonheur terrestre : la beauté, la naissance et la richesse ; malheureusement elle avait apporté en naissant le germe d’agitations stériles qui devaient compromettre la paix de son cœur et sa destinée tout entière. Telle est la loi de certaines existences auxquelles ont manqué dès la jeunesse les salutaires émotions d’une vie libre, et qui, semblables aux roses de Noël, ne s’épanouissent un jour que pour s’effeuiller flétries le lendemain. Aussi, lorsqu’elle me quitta, éprouvai-je une réelle angoisse que je ne parvins pas à dissimuler complètement.

À la fin de l’été de 1856, Ghislaine arrivait au monastère de Katzis, où elle obtenait l’autorisation de s’établir provisoirement, tandis que le duc allait passer l’hiver en Égypte, le climat de Nice ou de Gênes n’ayant pas été trouvé assez doux pour sa poitrine, qui devenait, disait-il, fort délicate. C’est dans le val Tomiliaska, au canton des Grisons, vallée célèbre par la beauté de ses paysages et le nombre de ses châteaux, la plupart en ruines, vieux manoirs disséminés sur des rochers qui paraissent inaccessibles, qu’est situé le village de Katzis, habité par des Romansches catholiques. Katzis est au pied d’un groupe de hauteurs connu sous le nom de la Montagna, où se trouvent plusieurs lacs, beaucoup de métairies et de villages. En face est Furstenau, où se dresse le château des évêques de Coire, jadis puissans seigneurs féodaux, et qui se résignent avec tant de peine aux conditions d’un état démocratique. Katzis possède lui- « même un antique monastère, respecté par les Français, qui, en 1799, brûlèrent le fameux couvent de Disentis.

Le duc n’avait pas jugé convenable d’emmener sa femme en Égypte et d’exposer la faible santé de Ghislaine aux ennuis et aux fatigues d’un si long voyage. Comprenant avec la sagacité de l’égoïsme tout ce qu’il y avait d’irréparable dans la situation qui lui était faite, le prudent gentilhomme s’était occupé immédiatement d’en tirer le meilleur parti possible. Disposé, disait-il, à montrer jusqu’au bout la plus grande modération, il avait obtenu de la duchesse des concessions immenses. Lorsque le duc fut arrivé à ses fins, il se garda bien de lui conseiller aucune démarche extraordinaire. Loin de l’engager à s’établir à Katzis, il lui avait proposé de louer pour