Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers les idées mystiques qu’au moment où il quittait l’université de Louvain.

Vieux diplomate, honoré de la confiance du roi des Pays-Bas alors que la Belgique et la Hollande ne faisaient qu’un seul état, le comte Charles-Hubert n’avait aucun des préjugés de son fils, quoiqu’il eût cru devoir, par une condescendance assurément exagérée, le faire élever chez les jésuites. « Voltaire, disait-il pour se consoler de sa faiblesse, a été leur disciple, et je compte d’autant plus sur la loi inévitable des réactions que je connais l’intelligence naturellement droite de Norbert. » Cependant, quand il vit que son fils, après avoir déjà passé quelques années dans la diplomatie, se laissait envahir de plus en plus par la mélancolie, il s’inquiéta sérieusement des tendances d’un esprit dont le développement était si lent et si douloureux. La comtesse, née en France, dans un des départemens de l’ouest, entretenait malheureusement chez Norbert les dispositions bizarres d’une imagination qui ne l’entraînait pas, comme s’il eût été Italien ou Provençal, vers une vie de plaisir et d’aventures, mais qui le plongeait dans des rêves sans fin, dans des extases perpétuelles, et parfois dans un abattement profond. Son père comprit la nécessité de réveiller cette intelligence engourdie, de lui faire connaître et la vie et les hommes. Il était convaincu que le soleil du midi chasserait de son âme les tristes fantômes qui naissent dans les brouillards de la Mer du Nord. Il avait donc pensé à le conduire lui-même dans la Suisse italienne, en Italie, en Grèce et aux bords du Danube. Seulement il se sentait bien vieux pour de si longs voyages. En outre, comme il s’agissait de rendre à une organisation exaltée le calme, le bien-être et la pleine possession de ses forces, l’expérience et la sagacité d’un médecin lui paraissaient indispensables. Le docteur Paul Ivanovitch se proposant de parcourir l’Europe méridionale, il se décida à lui confier Norbert. « Si son esprit, lui dit-il, n’est pas exempt de bizarreries, s’il est peu expansif, il a un cœur d’or ; il ne tardera point à s’attacher à un compagnon qui, comme vous, a l’habitude de se dévouer à ceux qui souffrent, et qui sait que les plus malades ne sont pas toujours dans leur lit. Votre voyage sera d’autant plus avantageux pour Norbert qu’il y trouvera mille sujets d’études. Menez-le dans les Alpes méridionales, au bord des lacs charmans de la Suisse italienne, dans les plaines de la Lombardie, au fond des vallées de l’Arcadie et des Karpathes. Quand il aura examiné les Romansches protestans[1], les Italiens ultramontains, les Grecs, les Roumains et les Serbes orthodoxes, il comprendra sans peine que le christianisme se modifie conformément

  1. Le canton des Grisons est mixte, mais les réformés sont les plus nombreux.