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Les généraux Bazin et Baklanof avaient trouvé de ce côté peu de résistance. Profitant des accidens de terrain et de l’obscurité de la nuit, ils étaient arrivés inopinément sur les lignes anglaises. À la vue des colonnes russes, Achmet-Bey, colonel du 2e régiment d’Anatolie, avait perdu la tête et pris la fuite. Quelques soldats avaient essayé de se défendre ; mais les autres, découragés par l’exemple de leur chef, avaient cherché un refuge dans le fort Lake. Loin de les sauver, cette fuite honteuse les avait fait tomber sous les coups des Cosaques, qui, les devançant, avaient trouvé moyen d’escalader les lignes sur divers points. L’infanterie russe avait occupé successivement les redoutes ; mais sa faiblesse numérique ne lui avait pas permis d’assaillir le fort Lake. Elle s’était donc contentée de se maintenir dans les positions conquises, et d’attendre ainsi l’issue de l’assaut livré du côté de Chorak.

Telle était, au point du jour, la situation des deux armées. D’un coup d’œil, le général Kméty jugea qu’il fallait avant tout dégager complètement Yarimaï et les abords de Youksek-Tabia, pour arriver ainsi de proche en proche jusqu’à Tachmas-Tabia. Il se mit à la tête de quatre compagnies de chasseurs à pied de la garde, fondit sur la lunette Yarimaï, s’en rendit maître après une courte mêlée, puis, gravissant la pente opposée, il atteignit l’extrémité de la flèche qui se prolongeait à la droite de la redoute de Tachmas, et en délogea de même les Russes. Il y fit mettre en batterie deux pièces attelées qu’il avait tirées de Youksek-Tabia. Une heureuse chance lui amenait en même temps un renfort de deux bataillons appartenant au 5e régiment d’Anatolie. Ces deux bataillons, sous les ordres du colonel Zachariah-Bey, que nous avons déjà vu se distinguer à Kourouk-Déré, s’étaient aventurés jusqu’à ce mur, qui avait une première fois servi de refuge à Yanik-Moustafa-Bey ; ils se firent jour jusqu’au général Kméty, qui les posta sur le revers extérieur du parapet. La situation des deux armées se trouvait ainsi complètement intervertie, au grand détriment des Russes. Toutes leurs forces étaient concentrées sur le plateau en arrière des lignes de Tachmas ; ils essuyaient à la fois le feu des troupes de Hussein-Pacha et celui des pièces de gros calibre qui armaient le fort Lake. Tchim-Tabia, et les retranchemens de la plaine. Les soldats russes se maintenaient avec un acharnement incroyable aux abords de la redoute ; se faisant un abri des tentes, ils chargeaient leurs armes, puis venaient à portée de pistolet les décharger sur les Turcs, jusqu’au moment où ils trouvaient la mort. Chaque tente comptait ainsi dix, douze cadavres ; mais le courage que déployait individuellement le soldat ne décidait de rien. Les efforts décousus que faisaient les chefs pour enlever d’assaut la redoute amenaient sans résultat des pertes effroyables. Dès le commencement