Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Personne n’a mieux défini que M. Thiers le caractère de la restauration. Dans sa bouche, un pareil jugement est un arrêt dont on ne sera plus tenté d’appeler. C’est une noble chose qu’un tel hommage à une cause vaincue rendu par l’auteur de l’Histoire de la Révolution française écrivant sous le second empire. Tout n’a point été perdu dans nos douloureuses vicissitudes politiques, puisque nous y avons contracté du moins l’habitude de la justice. Aussi les anciens partis voient-ils aujourd’hui avec une égale confiance l’illustre historien, poursuivant sa tâche, se préparer à pénétrer sur un terrain plus brûlant, pour nous peindre, avec la vérité sévère de son dessin et l’inépuisable variété de ses couleurs, l’époque sinistre où s’ouvrirent tant de plaies dont les cicatrices n’ont pas encore disparu. J’éprouve d’ailleurs, pour mon compte, la curiosité bien naturelle de savoir quelle impression pourra recevoir M. Thiers en voyant Napoléon demeurer aux cent-jours si fort au-dessous des périls, résultats certains de son audacieuse tentative, et n’ayant pas même à présenter à la France une chance de conjurer tant de malheurs gratuitement provoqués.

Pendant ces trois mois de funeste mémoire, l’empereur agit sous une contrainte visible, qu’il ne subit que soutenu par l’espérance de s’en délivrer. Tout a changé autour de Napoléon, et il est demeuré le même. Il entend un langage qu’il croyait oublié, voit se produire des idées qu’il hait ou qu’il dédaigne, et se trouve obligé d’en caresser les représentans en affectant de compter avec eux. Il n’est pas de pire supplice que celui des esprits violens condamnés à l’hypocrisie. Sur l’estrade du champ de mai, le lion revêtu d’une peau de renard semble toujours sur le point de la rejeter pour s’élancer sur le parterre et déchirer les sots qui l’applaudissent. Plus que jamais il a besoin d’hommes et d’argent, et il faut élaborer une constitution libérale ; plus que jamais la dictature lui est nécessaire, et il doit décréter la liberté de la presse ! Dans ses élucubrations constitutionnelles aux Tuileries, dans ses incertitudes et ses perplexités à l’Elysée, l’empereur, rappelé et soutenu par l’armée, survivant à la pensée nationale qui fit sa force et ne représentant point la pensée politique qui vient de naître, ne peut s’appuyer ni sur le passé ni sur l’avenir. La monarchie constitutionnelle est vengée en voyant le despotisme militaire balbutier son langage et s’affubler de son manteau.

L’empereur Napoléon aux prises avec les idées dont son historien a eu l’honneur de demeurer toute sa vie l’un des plus illustres représentans, un tel spectacle redoublera encore, s’il est possible, l’intérêt ardent avec lequel le public poursuit la lecture de ce livre. Des cent-jours sortent toutes nos humiliations devant l’Europe, toutes les difficultés de notre politique extérieure pendant quarante ans, tous les obstacles sous lesquels a succombé le gouvernement représentatif.