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dans ses anciennes limites, celui-ci, regardant avec quelque raison un tel arrêt comme celui de sa déchéance, protestait qu’il ne le subirait jamais, et s’efforçait d’arracher à la nation le dernier souille de sa vie pour une cause qui ne pouvait plus guère la toucher. La force des choses avait conduit le corps législatif à se faire l’interprète respectueux, mais résolu du sentiment public. Composé d’esprits honnêtes, beaucoup plus timides que hardis, ce corps ne pouvait être suspect à la dynastie impériale, qui, au début de la session, n’y comptait pas même un ennemi ; mais pour la politique du dedans comme pour celle du dehors, sa pensée était très différente de celle de l’empereur, et celui-ci jugea moins dangereux, dans sa situation terrible, de prendre aux yeux du monde les formes de la tyrannie que de laisser croire un moment à un affaiblissement de son pouvoir. Il le brisa donc avec éclat après l’une de ces scènes calculées qui, lorsque l’effet en est manqué, compromettent les acteurs les plus habiles. Au moment où six cent mille hommes se dirigeaient sur Paris par la Champagne et par la Gascogne, où Bordeaux, occupé par les Anglais, proclamait les Bourbons, Napoléon, seul pour ainsi dire en France comme dans l’univers, n’avait plus autour de lui que son sénat, que M. Thiers, retrouvant la plume de Tacite pour peindre ces contemporains de Tibère, nous représente comme « placé entre deux peurs, celle du maître et celle de l’ennemi. »

Le point de vue de la France était à coup sûr beaucoup plus juste que celui de Napoléon, et en appréciant les éventualités probables et prochaines, la nation avait malheureusement raison contre lui. La paix glorieuse qu’il poursuivait avec la limite du Rhin était alors une pure illusion. Lorsque l’ennemi marchait vers Paris entre la Marne et la Seine, ni les combinaisons les plus merveilleuses de la stratégie, ni les retours les plus imprévus de la fortune, ne pouvaient compenser désormais pour Napoléon l’accablante infériorité des forces ; c’était donc très vainement qu’il paraissait se flatter de voir encore la question des frontières naturelles devenir la base des négociations ouvertes entre M. de Caulaincourt et les ministres de la coalition triomphante. Quand il luttait avec cinquante mille hommes contre une armée de trois cent mille ennemis, armée dont le chiffre aurait été doublé en peu de mois, Napoléon touchait manifestement au terme de sa destinée. Pour soutenir au-delà de quelques semaines un pareil effort, pour le faire aboutir à la libération d’un territoire envahi sur la ligne des Pyrénées comme sur celle du Rhin, il, aurait fallu que la nation se levât en masse dans un de ces accès de délire populaire dont l’empire avait tari les sources : du moment que la lutte conservait un caractère purement militaire, l’issue pouvait en être pressentie par tout le monde, et l’empereur