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à Magdebourg, à Hambourg, à Alexandrie, à Mantoue, à Venise ; rien aux mains de la France pour se défendre, tout aux mains de l’ennemi pour l’attaquer ! L’on manquait de fusils pour armer les nouvelles levées et les gardes nationales. Sur un million environ de fusils fabriqués durant l’empire, cinq cent mille étaient enfouis dans les neiges de la Russie, et trois cent mille s’étaient perdus dans la déroute, des bords de l’Elbe à ceux du Rhin. Les autres se trouvaient pour la plus grande partie aux arsenaux des places dont l’accès nous était interdit. M. Thiers constate également qu’au jour de l’invasion, le personnel du génie presque tout entier était dispersé dans plus de cent cités étrangères dont nous séparaient désormais quatre cents lieues et quatre cent mille hommes. Il prouve qu’il ne restait en France que des dépôts ruinés, chargés de la tâche ingrate de dresser en quelques semaines de jeunes conscrits pour la mort plutôt que pour le combat. « Ainsi, pour conquérir le monde, la France était demeurée sans défense. »

Ce mot résume les annales d’un règne durant lequel le prince, tout entier à son rôle extérieur, n’avait eu d’un roi de France ni les perspectives nettes et sensées ni les paternelles sollicitudes. Devant les périls accumulés par une imprévoyance fabuleuse et les doutes qui paralysaient à sa source l’entraînement national, Napoléon n’avait plus à opposer au sort que le mot de Médée. Il allait seul en effet, et l’on sait avec quel éclat, lutter contre l’univers conjuré, et dans ce duel à mort provoqué par une pensée chimérique, la France, dont il prétendait faire son second, entendait n’être plus que son témoin en quelque sorte, car, autant par instinct de la justice que par défiance de la fortune, elle cherchait à décliner la solidarité qu’il s’efforçait de rendre chaque jour plus étroite entre sa cause personnelle et celle de la nation. Découragée de toute espérance, celle-ci laissait donc s’accomplir la catastrophe au sein de laquelle allait disparaître un pouvoir que Dieu et les hommes semblaient avoir doté à l’envi de toutes les conditions de la durée comme de la gloire. Demeuré fidèle à la pensée toute nationale et fort sensée qui l’avait porté sur le trône, l’empereur Napoléon aurait pu assurer l’avenir de sa dynastie comme celui de la France. Qu’il eût préparé les générations nouvelles pour la paix et pour la liberté au lieu de les façonner pour la dictature et l’asservissement du monde, et l’empire aurait probablement traversé sans péril la plus redoutable des épreuves, celle de perdre l’empereur. Ce pouvoir, sorti de l’élan de la volonté nationale, ne rencontrait alors devant lui ni des partis organisés, ni des besoins auxquels il lui fût interdit de satisfaire : il n’avait détrôné que l’anarchie ; sa victoire ne froissait aucune idée puissante, elle n’humiliait personne, et le pays ne lui avait demandé qu’une chose, demeurer fidèle à la tradition française et ne pas chercher