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à l’intérieur. Levés par les préfets, les conscrits étaient talonnés par les gendarmes, et marchaient à la mort avec la conviction que leur sang ne coulerait pas pour les véritables intérêts de la patrie. La France tout entière avait pénétré la fausseté du plan politique pour lequel on épuisait depuis dix ans les sources mêmes de sa vie, et l’ambition carlovingienne de l’empereur ne touchait aucunement la génération de 1789. Missionnaire de la justice et du droit, le pays qui depuis la Massoure jusqu’à Solferino a toujours prétendu combattre pour une idée était vainement provoqué par le pouvoir à s’indigner contre des défections qu’il savait inspirées par le patriotisme germanique et consacrées par l’honneur. La force morale avait donc passé à la coalition, car Napoléon, qui jusqu’alors n’avait eu devant lui que des armées, trouvait enfin debout dans toute sa puissance le redoutable principe dont il n’avait jamais estimé nécessaire de tenir compte. M. Thiers a nommé avec l’Allemagne la journée de Leipzig la bataille des nations, et il a résumé dans ce mot tout l’esprit de la campagne de 1813. La France a été vaincue par les peuples ; c’est pour cela que le résultat de la lutte était écrit à l’avance, quelques prodiges que pussent enfanter encore les talens militaires de Napoléon.

Sous la tempête qui ébranlait la terre allemande depuis Stuttgart jusqu’à Memel, l’empire français avait disparu comme un château de cartes ; les rois vassaux ne songeaient qu’à faire oublier aux peuples, à force de zèle pour la cause commune, l’origine de leur récente royauté, et les princes tombés des trônes de famille avaient dû descendre au rang de généraux à la suite. Avant même que les armées coalisées eussent passé le Rhin, l’on avait pu mesurer la solidité de l’établissement à celle de ses étais. En Hollande, où un prince honnête s’était ménagé un plus durable souvenir par son abdication que par sa royauté passagère, les populations, soulevées à l’approche d’un faible corps détaché de l’armée de Bernadotte, avaient arboré le drapeau de la maison d’Orange, et la Belgique menaçait de préparer elle-même, par sa scission spontanée, un spécieux argument pour les mesures déjà méditées contre la France. À l’autre extrémité de l’empire, la fidélité modeste du prince Eugène contenait à peine l’Italie, et le sang de l’un de ses ministres coulait dans une émeute aux cris de « mort aux Français ! » Enivré par la coupe du pouvoir, le brillant roi de Naples cherchait dans ses devoirs envers ses sujets quelques motifs plausibles pour colorer la trahison qui allait flétrir son honneur sans profiter à sa puissance. Cent mille Anglo-Espagnols, après avoir d’étape en étape poursuivi nos soldats sur la terre fatale qui les avait dévorés, paraissaient menacer nos cités méridionales de vengeances que la conscience publique aurait eu quelque peine à ne pas trouver légitimes. Enfin, pour mettre le