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aller exécuter à Naples l’arrêt du destin, en attendant sa promotion par avancement à une plus haute couronne ; Murat débuta dans la carrière royale par le surnumérariat du grand-duché de Berg ; Louis, au grand profit d’ailleurs de ses nouveaux sujets, devint roi de Hollande ; des principautés pour les ministres qui conseillaient de telles choses et pour les généraux qui aidaient à les exécuter furent disséminées comme des diamans lancés par la main de la fortune depuis la Souabe jusqu’au fond de l’Illyrie ; trois couronnes royales vinrent récompenser en Allemagne les défections princières, résolues d’avance à se racheter au besoin par l’ingratitude ; enfin, en organisant sous son patronage direct la confédération rhénane, Napoléon vint notifier à la nationalité la plus indélébile de l’Europe le firman de sa déchéance. La patrie des Arminius, des Frédéric et des Othon n’eut plus pour mission politique que d’orner le cortège d’un triomphateur étranger par les lambeaux déchirés d’une histoire dont la main d’un homme croyait avoir pour jamais terminé le cours. Un pareil acte était pour l’Allemagne plus qu’une révolution : ce n’étaient pas seulement les ruines du saint-empire romain dont il faisait tomber la dernière pierre ; c’était le génie de quarante millions d’hommes qu’il frappait sans pitié, lorsque Klopstock, Schiller, Kant, Goethe, Lessing, Wieland vivaient encore ou venaient à peine de fermer les yeux, et quand Arndt et Kœrner chantaient les gloires de la patrie en présence des baïonnettes françaises.

Toutefois le système de vassalité politique et militaire inauguré par le traité de Presbourg pour l’Europe occidentale eut un résultat bien plus funeste encore que l’humiliation de l’Allemagne : il atteignit au cœur la pensée de la France et violenta le cours régulier de ses destinées ; il fit de la nation l’instrument passif d’un projet auquel elle demeura fort indifférente aux jours de la victoire pour lui devenir antipathique aux jours du malheur. Ce fut le premier acte d’une pièce héroïque où les plus éclatans symboles couvrirent les plus prosaïques réalités.

Lorsque la France fonda l’empire et proclama l’hérédité de la dynastie qu’elle s’était donnée, elle avait la confiance de continuer le cours de sa propre histoire et d’agir dans son seul et véritable intérêt ; elle se trouva tout au contraire conduite à entreprendre contre tous les peuples, et l’on pourrait ajouter contre elle-même, une tâche que désavouaient la rectitude de son esprit et l’instinct inné de sa justice. Assise dans ses frontières incontestées, elle souhaitait ardemment la paix, et on lui offrait en perspective une guerre à laquelle on assignait pour terme le jour où l’univers désespéré se reposerait volontairement dans la servitude ! En 1804, la France s’était proposé de perpétuer les bienfaits d’un gouvernement modéré appuyé sur toutes les forces morales du pays ; en 1806, on lui imposait