Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire qu’à ces seuls instans où elles sont mises en un contact mystérieux et passager avec notre âme par ces puissances calomniées que l’on appelle les illusions ?

Cette cathédrale de Milan si souvent décrite, je n’essaierai pas de la décrire à mon tour. Je crois pouvoir dire seulement que je l’ai vue, et ce mot-là renferme toute ma pensée. Elle m’a rappelé ces apparitions qui, suivant quelques livres mystiques, se montrent à la lumière du soleil, et qui même, je crois, portent un nom dans les sciences occultes et s’appellent les fantômes de midi. Le fait est qu’elle s’élevait dans un ciel ardent, blanche, transparente, aérienne ; avec sa population de figures sacrées, étagées les unes sur les autres, c’était l’échelle du patriarche. Elle semblait ce qu’on lui demandait d’être en ce jour, où la prière d’une nation émue venait la trouver : une voie ouverte entre ce monde et le monde divin. Pour aller du palais qu’il habitait à cette sainte et glorieuse demeure, l’empereur traversa entre la double haie de ses grenadiers des rues bordées de maisons frémissantes comme des arbres qu’agiterait le vent. C’est qu’en effet ces maisons étaient devenues des choses vivantes. Vêtues de la splendeur mouvante des navires qui célèbrent une fête sur l’onde, elles dardaient tant de regards de toutes leurs ouvertures, elles jetaient au ciel tant de cris, elles semblaient enfin soulevées par tant de passion, qu’elles renouvelaient le miracle des temps antiques : c’étaient des pierres animées et soumises aux enthousiasmes humains. Dans ces lieux où étaient déchaînées toutes les puissances expansives de l’Italie, il n’y avait d’immobiles que les soldats rangés sur le passage de l’empereur ; coiffés de ce bonnet qui devant Sébastopol rappelait Smolensk et le Kremlin, ils se tenaient calmes, droits et fiers, cariatides habituées à supporter sans fléchir le poids des gigantesques édifices dont on les charge.

Une soirée à la Scala marqua le dernier jour de notre passage à Milan. Nulle troupe d’acteurs n’était alors dans cette ville, qui voulait pourtant faire concourir à ces fêtes l’éclat de son magnifique théâtre. Il fut décidé que la salle de la Scala serait éclairée par une de ces illuminations dont l’Italie a le secret ; quant à la scène, elle serait occupée par des chœurs chantant des hymnes nationaux. Cette musique improvisée était un prétexte de réunion bien suffisant pour une solennité de cette nature. Il eût été inutile, en une pareille soirée, de faire appel au génie des grands maîtres et au talent des célèbres chanteurs. Le spectacle que cherchait le public, l’art ne pouvait point le lui donner. L’empereur et le roi de Piémont, quand ils parurent dans la vaste loge décorée pour leur triomphe, rendirent la salle aussi bruyante qu’elle était lumineuse. Tout en laissant une partie de mon esprit s’épanouir au sein de ces clartés et de ces