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il voulut prendre cette précaution. Dans une ville aussi grande que Milan, les plantons pouvaient s’égarer. On fait demander des guides à la municipalité ; au bout de quelques instans, ces guides arrivent. Le maréchal était à table ; souriant à une pensée soudaine, il envoie un officier savoir quels gens lui a expédiés le patriotisme milanais. Cet officier trouve dans le vestibule, où se tiennent les plantons, deux membres élégans et titrés de l’aristocratie lombarde. Je pourrais citer maints incidens de cette nature. Il y a des heures où la patrie, au lieu d’être une divinité à la fois oubliée et invisible, devient une personne vivante pour tous les cœurs, présente pour tous les regards, marchant, comme le Dieu fait homme, au milieu de la foule, dans la poussière de nos routes. Alors les âmes s’exaltent de concert, et chacun se dispute l’honneur de rendre à l’être glorieux les plus humbles services. Point de chevelure précieuse qui ne soit fière d’essuyer ses pieds. Voilà ce qui arrivait à Milan ; mais je reviens au quartier impérial.

Le maréchal Canrobert y apprit que son corps ferait peut-être une halte de quelques jours. Il alla s’établir dans un palais où nous attendait une gracieuse et splendide hospitalité. L’Italie est encore à 89, si, ce qu’à Dieu ne plaise du reste, elle doit retrouver toutes nos étapes dans la route où la voilà engagée, si la Providence a décrété qu’on pourrait lui appliquer le mot douloureux de Shakspeare, si son histoire est destinée à être un conte déjà raconté. Malgré les refrains patriotiques, malgré les flammes tricolores qui résonnent et brillent dans son atmosphère, Milan possède toujours ses seigneurs. J’ai entendu cette expression sur des bouches de paysans, et qui plus est de bourgeois. À deux pas d’un poste de la garde civique, sous le portique d’un palais décoré aux couleurs nationales, j’ai vu la main d’un de ces seigneurs baisée gravement par un homme décemment vêtu, ce qui me rappelait les Ils en vigueur dans la société féodale des Arabes. La noblesse milanaise a gardé des demeures dignes du prestige qui l’environne. Nos regards, où flottaient encore les images des champs de bataille, erraient dans notre nouveau gîte sur des murs aux sculptures dorées, et revêtus de cette divine parure qu’ont seules les murailles italiennes. Les vastes pièces où nous errions étaient toutes remplies de cette mystérieuse lumière qui s’échappe des toiles immortelles comme de lieux enchantés et profonds.

Une fête presque aussi chère à mes yeux que les plus précieux tableaux dans notre résidence de Milan, c’était un vaste et sombre jardin qui s’étendait sous nos fenêtres. Je ne me suis point promené dans ce jardin, et je ne m’en repens pas. Il ne faut jamais s’approcher de ce qui ressemble à une vision. J’ai gardé ainsi avec plus