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Tandis que Milan se pavoisait et se couronnait de fleurs, cette armée autrichienne qui l’avait traversée la veille, sombre, silencieuse, irritée, laissant derrière elle une trace de sang, les courageux vaincus de Magenta n’étaient qu’à quelques pas de nous, et la lutte dont nous sortions pouvait recommencer. L’ordre nous vint de tourner la ville au lieu d’y pénétrer, et d’aller nous établir sur les boulevards extérieurs, prêts à soutenir les corps Baraguay-d’Hilliers et Mac-Mahon, qui s’avançaient déjà vers l’ennemi.

Je ne pus donc d’abord juger Milan que sur quelques faubourgs déserts, car tout le sang de cette ville passionnée affluait en ce moment à son cœur. Cependant, nos troupes établies dans les campemens qui leur étaient assignés, le maréchal Canrobert voulut se rendre au quartier impérial. Je vis alors dans toute sa splendeur le spectacle désiré. Milan avait l’aspect d’une ville où vient de s’accomplir une révolution, mais une révolution sans épouvante et sans larmes. On y sentait d’abord cette vie étrange, expansive, qui, à des heures brûlantes et rapides, inonde tout à coup de grandes cités. Les rues étaient encombrées de cette foule où se confondent tous les rangs, où tous les regards s’interrogent, où tous les cœurs se répondent, enfin où se montrent, enchanteurs et dangereux fantômes, ces visions que les peuples n’oublient plus quand elles leur sont apparues une fois. Malgré le nombre de Français qu’il avait déjà salués, l’enthousiasme milanais n’était point las. En se dirigeant vers le quartier impérial, notre état-major glana encore nombre d’acclamations et de fleurs.

Le palais occupé par l’empereur était rempli de costumes étranges. À côté de nos uniformes se montraient ces bizarres accoutremens sous lesquels se produisent soudain, aux jours d’émotions publiques, nombre de citoyens souvent respectables et paisibles. Une sorte de garde nationale s’était formée immédiatement. Plusieurs notables milanais avaient modifié leur tenue habituelle par un baudrier passé sur une redingote bourgeoise et par une coiffure militaire. Dieu me préserve du reste d’une pensée ironique en racontant ces détails, que je recueille uniquement pour faire revivre les scènes qui m’ont frappé ! Je trouve qu’il ne faut pas railler l’enthousiasme chez l’homme isolé, à plus forte raison chez les peuples. Un fait qui se retrace en ce moment même à ma mémoire donnera une idée de l’empressement que nous montraient à l’envi toutes les classes de la société dans la capitale de la Lombardie. Suivant une règle enseignée par l’expérience de la guerre pour éviter les pertes fâcheuses de temps, le maréchal Canrobert, dans tous les lieux où il bivouaquait, faisait venir le soir à son quartier quelques guides chargés d’accompagner ses plantons. Le soir du 8 juin, comme à son ordinaire,