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de temps en temps, mais dont on voit constamment reparaître quelques débris.

Bientôt le maréchal Canrobert reprend sa course. Nous retournons aux lieux que nous venons de quitter. Les Autrichiens n’ont point renoncé à l’attaque de Ponte-Vecchio. Le maréchal s’arrête encore à ce village, puis parcourt de nouveau les lignes de tirailleurs qui en protègent les approches. Il se meut, à la fois calme et passionné, au milieu du feu. Il se porte à tous les endroits, où un exemple énergique est nécessaire. Chaque soldat tour à tour entend à son oreille cette parole amicale et impérieuse, héroïque et familière qui tantôt le pousse où il faut courir, tantôt l’enchaîne où il faut rester. Tandis que les heures découlaient pour nous dans cet espace étroit, mais où se passait une grande lutte, le général Mac-Mahon accomplissait son mouvement tournant sur Magenta. Le maréchal Canrobert avait envoyé le comte Vimercati s’enquérir des opérations du deuxième corps. Tout à coup nous voyons cet officier s’avancer vers nous au galop. La joie d’une bonne nouvelle est sur ses traits. Il nous apprend en effet que Magenta, où il vient lui-même de pénétrer, est au pouvoir de nos armes. En cet instant, le maréchal Canrobert était sur la lisière d’un champ, à l’entrée de Ponte-Vecchio. L’ennemi tentait sur ce village un effort suprême. Le feu redoublait de furie. Je vois encore, à l’horizon d’un tableau que je pourrais dessiner, ces soldats autrichiens élégans et sveltes, avec leurs tuniques blanches, et leurs bonnets bleus, ouvrant les bras et tombant à côté de leurs fusils. Dans ce paysage embrasé, la mort était en pleine moisson ; mais le maréchal Canrobert sentait la victoire décidée. En préservant le flanc droit de l’armée, il avait assuré les succès obtenus aux débuts de l’action par la garde ; la prise de Magenta par le général Mac-Mahon venait à présent confirmer l’heureux résultat de la lutte qu’il soutenait depuis plusieurs heures. Ainsi trois actes éclatans amenaient le dénoûment triomphant du drame. Le maréchal Canrobert s’adresse à un groupe de soldats dont son cheval est environné. Il leur fait partager la joie patriotique dont il est rempli, puis, se tournant vers le capitaine Vimercati et vers moi, il nous ordonne d’aller au plus vite annoncer à l’empereur ce qu’il vient d’apprendre.

Nous partons de toute la vitesse de nos chevaux, nous parcourons la voie qui couronne le talus du chemin de fer, voie embarrassée à chaque pas par des cadavres que nous sommes obligés de franchir. Nous arrivons aux lieux où se tient l’empereur et nous remplissons notre mission. L’empereur, au moment où nous l’abordons, dirigeait le mouvement d’une batterie. Il nous reçut avec un sourire affectueux, mais les traits empreints de ce calme profond qui m’avait