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Dieu me le pardonne, ma conscience ne me reproche rien, et tout ce que je souhaite, c’est d’être encore courtisan de la même manière, n’importe avec quel monarque, pourvu qu’il reçoive mes complimens à cheval, que j’aie le bonheur, en les lui adressant, d’être à cheval aussi, et qu’il s’agisse dans mes discours de canons enlevés par nos armes.

Le troisième corps fit séjour à Palestro. La maison qu’occupait le maréchal Canrobert était une demeure des plus modestes, un presbytère encore, je le crois du moins, car je n’ai recueilli aucun renseignement précis sur ce gîte que son propriétaire avait abandonné. Dans la matinée du 2 juin, notre réveil fut hâté par une fusillade assez vive. Le jour paraissait à peine, et déjà la mousqueterie nous donnait une aubade. Le troisième corps et l’armée piémontaise formaient en cet instant le pivot du mouvement qu’accomplissait l’empereur. L’ennemi pouvait tenter contre ce pivot quelque énergique effort. Telle fut la pensée qui frappa également le roi et le maréchal. Les troupes françaises et italiennes prirent donc les armes, et se tinrent prêtes à marcher ; mais les Autrichiens ne songeaient pas à l’offensive : loin de là, ils cachaient, suivant leur habitude, une retraite par une démonstration de tirailleurs. La fusillade qui avait éclaté à nos avant-postes se ralentit bientôt, puis cessa tout à fait. L’ennemi avait abandonné Robbio. C’était ce qu’à midi nous ignorions encore. À cette heure de la journée, le roi et le maréchal étaient réunis pour concerter une attaque sur ce point, dont une courte distance nous séparait. Le roi s’était rendu chez le maréchal, qui en ce moment même attendait de l’empereur une dépêche importante, à laquelle ses résolutions devaient être subordonnées. La conférence entre le commandant du troisième corps et le chef royal de l’armée piémontaise avait eu lieu dans un petit jardin dominé par un clocher d’église villageoise, devant les murs lézardés de notre maison, à l’ombre d’arbres chargés d’années qui me rappelaient les arbres chers aux romanciers allemands, ces témoins verdoyans de la vie domestique qu’une volonté cruelle veut faire abattre, mais que sauve la sensibilité d’un enfant ou d’un vieillard. Cependant le temps s’écoulait, et la dépêche attendue n’arrivait point. Le roi, après avoir fumé quelques cigares, se coucha sur la terre, appuya sa tête sur son bras et s’endormit sur le lit guerrier par excellence, puisque rien, pas même un manteau, ne le séparait du gazon. Autour de lui, les conversations continuaient, car le jardin était rempli d’officiers, et les soldats en capote grise qui montaient la garde devant le logis du maréchal auraient pu le frôler en passant dans cet étroit espace. Il dormait, prêt à se réveiller pour retourner au feu, qu’il avait quitté la veille, quand notre jardin fut littéralement en-