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dans ce sanctuaire dépouillé, à une fleur aux fentes d’une masure. C’était bien une fleur en effet, fleur éclose de quelque génie oublié et disparu, jetant avec la céleste indifférence de ses sœurs, les fleurs des champs, son attrait à la solitude, au dédain et à l’ignorance.

J’ai dit tout ce que Ponte-Curone me rappelle. L’ordre nous vint un matin de nous préparer à partir dans la soirée. L’empereur avait décidé cet audacieux mouvement qui trompa l’armée autrichienne, nous porta en quelques jours sur les rives du Tessin, et nous ouvrit les portes de Milan. Où allions-nous ? C’était ce que chacun ignorait ; seulement, à notre grande surprise, au lieu de nous diriger à pied et à cheval sur les routes où nous marchions depuis plusieurs jours, on nous fit reprendre les voies ferrées. Au tomber de la nuit, on nous mit tous, bêtes et gens, dans des wagons. Où devait s’arrêter le convoi qui nous emportait ? Assurément la troupe ne le savait guère, puisque je ne le savais pas moi-même. Les soldats comprenaient pourtant que l’on se précipitait vers une prompte et décisive action. De là une joie expansive qui a fait pour moi de ce départ un des meilleurs incidens de la campagne. La gare de Ponte-Curone était encombrée de troupes qui toutes ne pouvaient point partir à la fois. Les hommes qui s’embarquaient étaient salués de mille propos, gais, pressés et bruyans, par ceux qui bientôt allaient les suivre. Quelques voix claires et vibrantes portaient à nos oreilles, avec son tour impossible à méconnaître, son accent distinct entre tous, la plaisanterie parisienne : « Train de plaisir, criait-on, grande vitesse ! » J’aimais ces voix qui me rappelaient les débuts de ma vie militaire, la gent leste, intelligente et hardie qui courait au feu, il y a douze ans, sous le regard souriant et attendri de la grande cité qu’elle sauvait. L’esprit parisien du reste n’est qu’une variété de l’esprit français. Le fond de l’humeur est le même chez tous nos soldats, n’importe de quelle province ils viennent. Je m’en étais aperçu depuis longtemps ; une fois de plus cette soirée me le montrait. Jamais gens partant pour les buts les plus rians de ce monde n’eurent un départ plus vivement marqué que le nôtre au coin de la verve, de la pétulance et de l’entrain. La soirée était d’une douceur merveilleuse ; le chemin de fer, à Ponte-Curone, était bordé par des champs où s’étaient allumés maints feux de bivouac. À la clarté de ces feux resplendissaient des figures animées nous envoyant des paroles ardentes et légères, comme les étincelles qui, après avoir tournoyé un instant dans l’air, s’abattaient entre les herbes des prairies.

Le cœur encore ému, les oreilles encore remplies de ces accens, je m’endormis peu à peu au fond d’un wagon où j’avais pris place entre des compagnons nombreux. Je m’étais assoupi au bruit d’une