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pertoire. Ce ne sont que des allées et des venues, des virtuoses qui passent rapidement devant le public sans qu’il y puisse prendre goût et s’intéresser au développement de leurs talens. On sent que le Théâtre-Italien n’est pas dirigé, qu’il y manque un homme avisé qui ait au moins l’intelligence de ses intérêts et sache au besoin suivre un bon conseil. On se demande encore ce qui a pu engager M. Calzado à faire paraître au Théâtre-Italien ce pauvre M. Roger, et à perdre un mois d’études et de fatigues à monter il Crociato in Egitto malgré la volonté expresse du maître.

Au théâtre de l’Opéra-Comique, les choses tendent à se simplifier beaucoup. On semble n’avoir plus besoin de voix pour chanter un répertoire où la musique va chaque jour perdant de son influence. M. Faure est parti pour Londres, Mme Faure doit le suivre, M. Jourdan est à Bruxelles, et si la direction pouvait tout à fait se passer de compositeurs, je crois qu’elle inventerait un mot spirituel qui prouverait que rien n’est plus inutile que la musique pour amuser pendant trois heures un public de voyageurs ahuris qu’amènent chaque jour les chemins de fer. Cependant ce théâtre économe de frais inutiles a donné, le 23 avril, la première représentation d’un opéra en trois actes qui s’intitule le Château-Trompette. La scène se passe dans la bonne ville de Bordeaux, au temps où ce drôle de maréchal de Richelieu, que Voltaire a eu bien de la peine à faire passer pour le vainqueur de Mahon, était gouverneur de la Guyenne. La vraisemblance n’est pas la qualité la plus saillante du libretto de MM. Cormon et Michel Carré ; mais le tout s’écoute pourtant sans trop d’impatience, grâce à quelques personnages secondaires assez comiques.

La musique de cet opéra en trois actes est l’œuvre de M. Gevaërt, un Belge natif de Gand, où il a commencé ses études musicales, et qui s’est déjà fait connaître par trois ou quatre ouvrages, tels que le Billet de Marguerite, les Lavandières de Santarem et Quentin Durward, qui ont obtenu un succès d’estime. M. Gevaërt, dont le talent est incontestable, n’a pu prouver jusqu’ici qu’il eût des idées, du sentiment, quelque chose enfin qui ne s’achète pas au marché et qui ne s’apprend pas dans les écoles. Il écrit convenablement, mais son instrumentation et ses mélodies, quand il en trouve, ressemblent à tout ce qui se fait autour de lui. Entendez le Roman d’Elvire et dix opéras semblables écrits par qui vous voudrez qui ne soit pas M. Auber, ni M. Halévy ou M. Reber, et il est impossible au public de distinguer l’imperceptible nuance de facture qui révèle la main d’un musicien plutôt que celle d’un autre. Tous les ouvrages qu’on nous donne depuis une quinzaine d’années semblent sortir de la même officine. C’est de la musique grise, pâle, contournée, de petites phrases rapportées et laborieusement soudées ensemble avec plus de talent que d’inspiration. Le talent ! mais il court les rues ! C’est un compositeur qu’il nous faut, un compositeur qui ait quelque chose à dire et qui dirige la situation. Tous ces pauvres moutons de Panurge qui tournent autour des théâtres lyriques demandent un berger qu’ils puissent suivre et imiter.

Le berger de ce troupeau ne sera pas encore M. Gevaërt, quoique nous nous plaisions à reconnaître tout d’abord que le nouvel ouvrage qu’il vient de produire à l’Opéra-Comique marque un progrès dans sa manière d’écrire, qui tend à se simplifier, à se clarifier. Je ne dirai rien de l’ouverture du