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que cela, même sur des scènes qui ne sont pas celle du Théâtre-Français. Ce qui m’a le plus frappé dans cette pièce, c’est le nombre d’allusions, j’allais dire de réclames, qu’elle contient : il y en a de sympathiques pour M. Henri Murger et d’ironiques pour M. Emile Augier ; il y en a pour le talent du pianiste Lacombe et pour les bronzes de M. Carbedienne ! Tout cela peut être très moderne, mais cela est d’un goût douteux et d’un médiocre intérêt. Signalons également pour mémoire la candidature dramatique de M. Alphonse Karr, presque aussitôt retirée que posée devant le public. Que M. Alphonse Karr ait fait une mauvaise pièce, je n’en suis pas étonné, car son talent capricieux, rêveur, humoristique, inégal, n’a aucune des qualités ni aucun des défauts qui conviennent à l’auteur dramatique ; ce qui m’étonne, c’est qu’il se soit laissé persuader qu’il pouvait courir une telle aventure sans danger, et qu’il se soit trouvé un directeur pour lui proposer de tenter la fortune du théâtre. Le roman de la Pénélope normande, était inférieur à tout ce que nous connaissions de l’auteur ; la pièce est encore inférieure au roman. L’impression qui m’est restée de cette pièce est celle qu’éprouverait un homme lisant un roman dont les feuillets seraient déchirés çà et là, et qui serait forcé de deviner le sens des pages perdues. La partie intéressante de l’œuvre se passe dans les coulisses et pendant les entr’actes ; quand ils se présentent devant le spectateur, les personnages n’ont plus rien à faire qu’à lui raconter ce qu’il aurait bien voulu voir de ses propres yeux. L’insuccès de la Pénélope normande n’est pas fait pour engager M. Karr à renouveler sa tentative, et nous croyons que dans l’intérêt de sa réputation il fera prudemment de borner là sa carrière dramatique.

En vérité, M. Emile Augier peut être fier de lui-même et se laisser aller sans trop de fatuité aux enivremens de l’orgueil. Il est vraiment le roi du théâtre contemporain, et il dépasse de plusieurs coudées la tête de tous ces prétendans au trône dramatique qu’il peut voir s’agiter à ses pieds lorsqu’il daigne abaisser vers la terre son front ceint de couronnes. Quoiqu’il soit jeune encore, il peut parler hardiment comme le vieux burgrave de M. Victor Hugo, et proclamer comme lui qu’il reste seul sur l’abîme où s’est englouti l’art dramatique. Cependant toute notre admiration n’ira pas jusqu’à nous faire approuver la transformation qu’il a fait subir à sa comédie de l’Aventurière. Telle qu’elle était, nous la trouvions très à notre gré, cette vive et légère comédie avec son costume d’un archaïsme de si bon goût et son demi-masque italien. M. Augier avait en quelque sorte mis ce masque à sa science du cœur humain, comme pour laisser planer un doute sur l’âge qu’elle avait réellement. Avec la décision cruelle, mais saine, franche et morale de la