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tenu à ce mépris que parce qu’il écrit en vers. Peut-être s’est-il dit que lorsqu’on se met en frais de poésie, on ne saurait être trop prodigue, qu’on peut se permettre tous les écarts et toutes les fantaisies, et que l’action est faite exclusivement pour les pièces en prose. Il faut que M. Rolland pense quelque chose de pareil, puisqu’il a composé une pièce en prose, l’Usurier de village, qui pèche justement par le défaut contraire à celui que nous signalons, et dont l’action est aussi compliquée et violente que celle de ses pièces en vers est peu dramatique. Il y a cependant une action dans cette pièce ; mais l’auteur a négligé de la conduire, il l’a abandonnée à la providence du hasard et à la merci des odes et des élégies dont il a rempli sa comédie. L’action joue un rôle misérable et subalterne, un rôle de paria et de souffre-douleur. Les personnages la poussent devant eux à grand renfort de dithyrambes, se la passent de main en main comme un prétexte à déclamations, et se la lancent comme un volant au bout de deux tirades. Des tirades trop prolongées et trop multipliées sont toujours souverainement ennuyeuses ; mais enfin, quand elles servent à expliquer la conduite et les caractères des personnages, elles ne sont pas hors de leur place et commandent jusqu’à un certain point l’attention du spectateur. Dans la pièce de M. Rolland, elles n’ont pas même ce mérite secondaire, elles portent sur des généralités et des lieux communs sociaux : la noblesse, la bourgeoisie, le parvenu, l’amour, la courtisane, etc.,

Admirables matières à mettre en vers latins !


Passe encore si cette poésie était originale et marquée d’un caractère individuel ; mais non : l’auteur tombe, qu’il le sache ou non, dans le lyrisme familier de M. Emile Augier, et ramasse les fleurs fanées des bouquets de la Jeunesse et de l’Aventurière. Je me rappelle cependant une certaine chanson bourguignonne de M. Rolland pleine de rondeur et de franchise pantagruélique qui avait vraiment du caractère. M. Rolland doit avoir une originalité. Que ne la cherche-t-il et ne se creuse-t-il davantage pour l’atteindre !

Cette futile question de savoir à laquelle, de la poésie ou de l’action, doit appartenir la prééminence est la plus importante que soulèvent les pièces représentées dans ces derniers mois. Elles laissent en général la pensée fort calme, et, en pièces polies qu’elles sont, se gardent bien de troubler le travail de digestion du spectateur qui vient les écouter après son dîner. On a fait quelque bruit autour d’un petit acte de M. Théodore Barrière représenté au Théâtre-Français, le Feu au Couvent. Ce n’est pourtant qu’un vaudeville, et un vaudeville d’un genre assez peu élevé encore, qui aurait pu sans inconvénient être représenté sur une autre scène à côté du Piano de Berthe et autres vaudevilles de l’auteur. M. Barrière a fait mieux