Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les régions dramatiques. Nous venons de constater deux faits importans : la fusion des divers publics en un seul, la fusion des divers genres en un seul mélangé qui n’a pas encore trouvé de nom. Ces deux faits devaient réagir forcément sur les conditions d’existence matérielle des théâtres, et c’est en effet ce qui est arrivé. Les divers théâtres, étant tous visités par le même public et condamnés à subir la même littérature dramatique, ont perdu leur caractère et leur originalité. Il n’y a plus de salles principales ni de salles secondaires, la hiérarchie des théâtres est détruite. Les théâtres ne sont plus que des entreprises dramatiques entre lesquelles règne la plus parfaite égalité. On ne voit pas bien pourquoi tous les théâtres ne sont pas réduits à un seul, si ce n’est par cette raison qu’un seul ne suffirait pas à contenir chaque soir les spectateurs affamés de divertissemens scéniques ; la question sera résolue le jour où l’on aura trouvé les moyens de construire une salle assez vaste pour contenir la population qui s’éparpille sans grand profit de la rue Richelieu au boulevard Beaumarchais. Si les théâtres conservent encore les noms qui les distinguaient, qui constataient leur originalité propre et indiquaient à l’esprit le genre auquel ils s’étaient voués de préférence, c’est sans doute par un reste d’habitude ; mais le jour libérateur n’est pas éloigné où tous ces noms génans pourront être effacés comme des signes odieux d’un ancien régime dramatique à jamais détruit, où ils ne porteront plus que le nom collectif d’entreprises, où on les distinguera les uns des autres tout simplement par le nom de la place et du boulevard sur lesquels ils seront situés. De même que les différens théâtres n’ont plus de genres qui leur soient propres, ils n’ont plus de troupes dramatiques qui soient à eux. Il n’y a que les acteurs secondaires et médiocres qui soient attachés à tel ou tel théâtre ; les bons comédiens sont pour ainsi dire à l’état errant et passent d’une scène à l’autre avec une merveilleuse facilité. Lorsqu’un directeur a besoin d’un comédien pour remplir un rôle dont aucun de ses acteurs ordinaires ne pourrait se charger sans dommage pour le succès de la pièce nouvelle, il va le chercher dans un théâtre voisin et l’engage à prix d’or. Le comédien accepte avec d’autant plus de facilité qu’il est sûr, en changeant de théâtre, de n’avoir pas à changer d’habitudes. Dans la nouvelle salle où il va faire son entrée, il rencontrera le même public qu’il vient de quitter et jouera les mêmes rôles qui lui sont familiers ; c’est à peine si de loin en loin il aura besoin de changer de costume.

La saison dramatique de 1860 touche à sa fin ; qu’aura-t-elle produit ? Trois pièces de valeur fort inégale. Dès l’entrée de l’hiver, le théâtre aurait donné tout ce qu’il devait donner cette année avec le Duc Job et le Père prodigue, si dans ces dernières semaines la Tentation de M. Octave Feuillet n’était venue fournir en quelque sorte