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Urquiza, qui lui rendait ainsi d’avance le service qu’il devait en recevoir plus tard. Il est vrai que le général Urquiza avait peut-être une autre pensée, qu’il espérait amener M. Lopez à lui prêter son concours dans la croisade qu’il méditait contre Buenos-Ayres. Le président paraguayen n’était pas homme à se laisser si aisément convaincre. Le moment venu, il rendit médiation pour médiation.

Ce n’était pas encore le dernier embarras pour le Paraguay ; une espèce de fortune ironique lui réservait l’ennui d’un démêlé imprévu au milieu même du succès diplomatique de sa médiation dans les affaires de la république argentine. Au moment où le général Solano Lopez, après avoir rempli heureusement sa mission à Buenos-Ayres, s’embarquait sur le navire paraguayen le Tacuari pour retourner à l’Assomption, un bâtiment anglais attendait ce dernier navire à la sortie du port, lui donnait la chasse et menaçait de s’en emparer de vive force. Le Tacuari n’eut que le temps de rentrer bien vite au port, et il y resta provisoirement. Le général Solano Lopez fut obligé de prendre la voie de terre pour revenir dans son pays. C’était, à vrai dire, de la part des forces navales anglaises, un procédé un peu sommaire, d’un caractère assez inusité en l’absence de toute déclaration de guerre. Il s’expliquait toutefois, jusqu’à un certain point, par l’état des relations de l’Angleterre et du Paraguay, par une sorte de rupture qui avait eu lieu entre le gouvernement de l’Assomption et le consul britannique, M. Henderson, à l’occasion de l’incarcération d’un Anglais du nom de Canstatt. M. Lopez avait compté sans doute sur l’infaillibilité de son procédé habituel : quand il est en querelle avec quelque agent étranger, il s’adresse au gouvernement que représente cet agent, et il gagne ainsi du temps. Il se trompait cette fois ; les Anglais agirent plus sommairement. De là la mésaventure du Tacuari. M. Lopez a fini pourtant par mettre en liberté l’Anglais Canstatt, et le Tacuari a pu alors sortir librement pour regagner le Paraguay.

Malheureusement on a toujours affaire ici à un petit despote qui se prévaut de son éloignement et de son isolement. La difficulté, nous le disions, réside dans le conflit incessant entre une politique qui a manifesté depuis quelques années des prétentions un peu plus libérales et une manière d’entendre cette politique toute pleine d’ombrages traditionnels. M. Lopez veut bien avoir des relations extérieures, mais il prétend les interpréter et les régler à sa façon ; il veut bien recevoir les étrangers, mais en les traitant comme il traite ses sujets ; il ne refuse pas de proclamer la liberté de navigation, à la condition qu’on en use le moins possible. Dans ses rapports avec les autres états, si on n’a pas pour lui tous les égards voulus, il est très fier et très chatouilleux ; si on lui fait sentir le