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et ces électeurs, il les prenait dans une seule classe, celle des locataires de maisons qui paient un loyer infime. À un corps électoral déjà trop accessible à la corruption, le ministre whig ajoutait donc ou une nouvelle matière corruptible, ou bien une couche de la société facilement dominée par les inspirations démagogiques, et y obéissant avec cette discipline où les masses aiment à trouver au prix de leur indépendance la démonstration brutale de leur force. C’était faire un pas vers le principe de la souveraineté du nombre, qui répugne essentiellement à l’histoire et à la constitution de l’Angleterre. Il n’est pas surprenant qu’un tel projet soit tombé devant la désapprobation des partis parlementaires et l’indifférence du public.

Ce que l’on conçoit moins en présence de cette indifférence, c’est comment la réforme électorale a pu devenir une question ministérielle de premier ordre, celle sur laquelle les cabinets se font et se défont en Angleterre depuis huit ans. Les frondeurs des deux partis dans la chambre des communes attribuent à l’ambition de leurs chefs l’artificielle et dangereuse importance qui a été donnée à la question de réforme. Ils prétendent que c’est pour s’assurer la direction du parti populaire que lord John Russell a levé arbitrairement en 1852 le drapeau de la réforme, et que c’est pour battre les whigs en popularité que M. Disraeli et lord Derby ont sans nécessité contracté, il y a deux ans, l’engagement de réformer le parlement. Ces récriminations ont failli même ébranler récemment la discipline du parti tory. La revue qui est l’organe de ce parti, le Quarterly Review, dans un article attribué à un membre de la chambre des communes, lord Robert Cecil, a attaqué avec une injuste amertume la direction donnée par M. Disraeli au parti tory. Cette attaque, à laquelle lord John Russell et M. Bright ont fait allusion pendant la dernière discussion, et que M. Disraeli a dédaignée avec une fierté de bon goût, a été amplement compensée par les applaudissemens qui ont accueilli les discours spirituels et généreux du leader et du premier orateur du parti tory dans la chambre des communes.

Nous avons eu, nous aussi en France, notre bill retiré, c’est le projet de loi sur le chemin de fer de Béziers à Graissessac ; mais nous n’avons point à parler de nos affaires intérieures. Comme nous le disions récemment, le mouvement politique intérieur en France se réfugie dans ces importantes publications qui nous parlent d’un passé si rapproché de nous qu’il se mêle naturellement encore aux préoccupations du présent. De cet ordre sera éminemment le troisième volume des Mémoires de M. Guizot, où l’illustre écrivain raconte une des plus belles entreprises qui aient été tentées en France, la fondation d’un gouvernement libre sous le coup des attaques que la liberté tolère, avec les seules armes, les armes généreuses, que la liberté autorise. Que de leçons fécondes même dans l’avortement d’une si noble tentative !

Mais, pour mieux dire, l’intérêt intérieur du moment est dans la fête de cette journée où le pays célèbre, avec son heureux agrandissement, l’en-