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blicité, lord John Russell laissait clairement voir que, s’il avait pris son parti de la cession de la Savoie à la France, il considérait comme entière la question des réclamations suisses à propos des districts neutralisés de la Savoie. Sur le règlement de cette question, il réservait les droits des puissances signataires des traités de Vienne. Tout présageait donc qu’il comptait faire une campagne diplomatique dans cette direction : c’est là qu’il allait essayer ses forces, là qu’au sortir de l’entente cordiale évanouie, il allait chercher ces combinaisons avec les autres états continentaux dont il avait annoncé le dessein en plein parlement. Voilà comment la question suisse prenait une gravité soudaine et rejetait pour l’instant dans un rang secondaire les autres difficultés de la situation européenne. L’Angleterre allait-elle se mesurer diplomatiquement avec nous ? Allait-elle revendiquer (nous croyons que c’est ici le mot propre) pour la décision de l’Europe une question que nous semblions vouloir terminer directement avec les intéressés ? Allait-elle essayer de gagner à ses vues les trois grandes puissances continentales ? Allait-elle s’efforcer de nous infliger un échec moral qu’il nous eût été difficile de dévorer en silence, ou bien subirait-elle une déconvenue qui augmenterait encore son aigreur et son irritation ? Tel est, si nous ne nous trompons, le grave point d’interrogation sur lequel, se sont ouvertes les vacances de Pâques.

C’est alors, nous le croyons, que la bienfaisante influence du repos s’est fait sentir aux gouvernemens et à l’opinion. Nous ne savons à quel point précis est arrivée la négociation sur la question suisse ; mais nous ne pensons pas nous tromper en supposant qu’elle a eu la qualité que d’excellens esprits ont tant estimée en diplomatie, qu’elle a été paresseuse, c’est-à-dire qu’elle a pris à son aise le temps de la réflexion. Une idée a germé, nous ignorons si c’est dans les régions officielles, mais c’est du moins dans de bons endroits, car elle a été accueillie avec complaisance par l’opinion : c’est que, lors même que le règlement de la question suisse devrait ultérieurement être soumis à l’examen d’une conférence, il ne serait pas impossible et il serait sage à l’Angleterre, à la Suisse et à la France, de le concerter préalablement entre elles. Les bonnes raisons qui conseillent une telle conduite et un esprit de transaction aux trois états sont en effet abondantes et manifestes.

Qu’aurait à gagner l’Angleterre à engager une lutte d’influence avec la France à propos de la question suisse ? Rien évidemment. La France a l’avance et l’avantage du fait accompli : non-seulement la Savoie et le comté de Nice lui sont transférés par traité, mais ces provinces vont dans quelques jours se prononcer elles-mêmes par le suffrage universel, et quoique la pratique de ce suffrage soit fort nouvelle encore en Europe, il faudrait être bien novice pour douter du résultat des plébiscites savoyard et niçard. La France possédera donc les portions neutralisées de la Savoie en vertu de deux droits, le droit de souveraineté résultant d’un traité et le