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efficace et d’arriver à leurs fins, la destruction de tout individu de race blanche, — homme, femme, enfant, — qui tomberait dans leurs mains : dessein qu’ont frustré en mainte et mainte occasion l’humanité populaire ou certains calculs d’une politique raffinée. De plus, il faut se souvenir que le code des Hindous n’est pas ménager de supplices, et l’Hindou lui-même, bon ou mauvais, — pas plus au reste que le musulman, — ne s’est jamais distingué par sa clémence envers l’ennemi[1]… »

L’aspect des lieux réveilla aussi chez M. Russell plus de dégoût matériel que d’indignation rétrospective. — « Le retranchement, dit-il, sert de cloaca maxima aux indigènes, aux valets de camp, aux coolies, bref, à tous ceux qui bivouaquent dans la plaine sablonneuse au milieu de laquelle il s’élève. De révoltantes odeurs s’en exhalent. Des rangées de vautours rassasiés, et les ailes à demi ouvertes, siègent sur les parapets qui peu à peu s’écroulent, ou perchent par groupes sur deux ou trois arbres dénudés qui se dressent à l’angle par lequel nous avions pénétré dans cette misérable enceinte. J’en tuai un avec mon revolver, et tandis que ce dégoûtant animal vomissait, dans les tortures de l’agonie, son dernier repas, en déroulant à droite et à gauche son cou chauve et noir, aux allures serpentines, je fis en moi-même un serment solennel de ne plus me procurer ce hideux spectacle. »

Quant à la Maison-du-Massacre, le voyageur laisse entendre incidemment qu’il la visita au moins deux fois ; mais il ne la décrit point, probablement pour ne pas répéter ce qu’il en avait dit dans sa correspondance adressée au Times.


IV

L’écrivain n’est pas entouré en Angleterre de toute la considération à laquelle il a très certainement droit ; le journaliste, presque toujours anonyme, semble plus particulièrement encore se regarder comme « déclassé. » M. Russell lui-même se qualifie quelque part de « bédouin de la presse, » et il ajoute, en riant, il faut le croire, que le bédouin de cette caste est un paria. Il avait cependant été, on l’a vu, parfaitement accueilli par lord Canning. Il fut reçu de même à Cawnpore par le commandant en chef de l’armée. À peine avait-il fait remettre sa carte par l’aide-de-camp de service, que le rideau de la tente se soulevait pour lui donner accès auprès de sir Colin Campbell (qui n’était pas encore lord Clyde). Après quelques souvenirs

  1. My Diary in India, t. Ier, p. 164-165. — Ceci est plutôt une analyse qu’une traduction.