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à se soulever. En vertu de plans concertés entre eux, le prétendu rajah devait organiser un corps de quinze cents nujeebs ou volontaires, à l’aide desquels, aux premiers symptômes de révolte, on espérait ménager aux cipayes une surprise sanglante. En attendant, il avait offert de placer autour de la trésorerie ses gardes du corps ordinaires, et de défendre envers et contre tous les caisses publiques. Peut-être se fût-on méfié d’une offre qui avait bien son côté suspect, mais les cipayes avaient déjà manifesté la plus vive indignation quand ils avaient pu supposer qu’on voulait leur retirer la garde du trésor, et d’ailleurs on savait que l’opulent rajah n’avait pas placé moins de 500,000 livres sterling (12,500,000 francs) dans les fonds publics anglo-indiens ; seulement on ignorait que peu à peu, par d’insensibles retraits, il avait réduit à des proportions relativement insignifiantes cette créance, qui en quelque sorte cautionnait son dévouement.

Ses antécédens ne le recommandaient guère à la confiance des Anglais. Fils de Ramchundur-Punt, subadar (capitaine) au service de Bajee-Rao, dernier peshwah de Poonah, il avait grandi dans la maison de ce prince, mort sans enfans en 1852. Avait-il été adopté par son protecteur ? Les uns le nient, les autres l’admettent. En somme, il avait reçu, grâce au peshwah, une éducation assez soignée, il avait même appris assez d’anglais non-seulement pour causer avec les employés de la compagnie, mais pour lire au besoin leurs lettres et y répondre en bons termes. La mort du peshwah, aux termes de la loi hindoue, laissait sa veuve en possession de tous les biens de la communauté. Nana-Sahib, — laissons-lui ce nom devenu historique, — demeura auprès d’elle dans la situation subordonnée et légèrement équivoque d’un enfant étranger, traité comme membre de la famille, mais sans titre légal, sans droits reconnus. Son ambition ne pouvait se contenter de si peu. Il fabriqua un testament qui lui attribuait toutes les richesses mobilières de son défunt patron. La veuve du peshwah contesta la validité de ce document ; des juges, peut-être corrompus, lui donnèrent tort ; elle s’enfuit alors à Bénarès, décidée à déférer au gouvernement anglais la sentence qui la dépouillait. Nana-Sahib la suivit, la circonvint par mille artifices, fit appel aux sentimens presque maternels que jadis elle lui avait témoignés, et parvint, diplomate déjà consommé, à lui persuader de rentrer à Bithoor. Elle y resta depuis, déchue de ses droits par l’abandon tacite qu’elle en faisait ainsi. Nana-Sahib ne s’en tint pas à ce coup de maître. Riche désormais, il voulut être puissant, et réclama non plus seulement les trésors de l’ancien peshwah, mais son titre et son rang presque royal, qu’il revendiquait cette fois, non plus à titre de légataire, mais comme enfant adoptif. Le gouvernement