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tuile, qui déborde les murs où il s’appuie de manière à former des portiques ou verandahs. À l’intérieur, des appartemens de deux ou trois chambres plus ou moins bien pourvues de charpoys (bois de lits), de tables en bois blanc et de chaises à deux ou trois pieds. Les fenêtres sont également plus ou moins pourvues de vitres. Les portes, mal en ordre, semblent peu disposées à remplir leur mission providentielle. Chaque chambre, en revanche, a son cabinet de bain, avec d’immenses jarres de terre emplies d’eau fraîche. Le khitmutgar, — c’est-à-dire l’aubergiste, — est en général un malheureux vieillard, à la mine effarouchée, qui, à chaque question, à chaque requête du voyageur, levant vers le ciel ses mains suppliantes, répond par la même formule : Nae-hai, kodawun (il n’y en a pas, monseigneur !). Notez que ces splendides établissemens, dus à la munificence du gouvernement de l’Inde, et pour la jouissance desquels il perçoit la taxe uniforme d’un shilling[1], ne servent, très exclusivement, qu’au voyageur de race européenne. Le plus riche banquier parsis, le baboo le plus familiarisé avec la littérature anglaise, un prince indigène lui-même s’abstient scrupuleusement d’y entrer. Le voyageur anglais ne les y verrait pas admettre sans indignation. Il trouve déjà fort mauvais qu’un de ces niggers se permette à Calcutta de pénétrer plans un wagon de première classe, au risque d’y déranger une lady ou un gentleman.

À Dinapore, le 8 février, M. William Russell rencontra les premiers vestiges de l’insurrection. Le bungalow, incendié quelque temps auparavant par les rebelles, avait un toit neuf, et les murs étaient noircis par la fumée. Partout où était resté un espace à peu près blanc se lisaient des inscriptions laissées par les divers détachemens anglais qui avaient fait halte en cet endroit : — Vengez vos concitoyennes massacrées !… En enfer les sanguinaires cipayes[2] ! Et autour de ces inscriptions des images grossières représentaient les divers supplices destinés à ces « rebelles exécrés : » potences, pals, haches, canons, tristes symboles d’une rage qui a pu se satisfaire tout à l’aise.

Aux approches de Bénarès, la route se peuple ; on dirait presque une procession se dirigeant vers la cité sainte des musulmans. Les Hindous voyagent volontiers par groupes nombreux, jeunes hommes et vieillards, enfans et femmes, tous pêle-mêle ; leurs pieds nus ou leurs souliers à pointes soulèvent une poussière étouffante. Leur

  1. Cette taxe représente simplement le droit d’entrée dans le bungalow. Les ustensiles ou alimens que fournit le khitmutgar font l’objet d’un compte particulier qui se règle à prix débattu.
  2. Revenge your slaughtered countrywomen !… To the… (devil sous-entendu) with the bloody sepoys !