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motions publiques. Voilà certes des inspirations puisées aux sources les plus fécondes. La poésie récompensait bien le travail intérieur de sa vie, je veux dire le progrès moral et le viril développement de ses facultés, quand elle lui permettait de couronner ainsi son œuvre, et de mêler si ardemment, si profondément, les purs transports des joies de la famille à l’enthousiasme du citoyen. Cet enfant né au milieu des combats, il le consacrait d’avance à la Hongrie, et les vers qu’il lui adresse, répétés aujourd’hui par des milliers de voix, entretiennent dans la génération qui se lève une espérance immortelle.

Une autre pièce, bien touchante aussi, et l’une des dernières qu’il ait écrites, c’est le souvenir qu’il donne à ses frères d’armes tombés sur le champ de bataille, quand il envoie ce poétique appel au printemps de 1849 :


« Jeune printemps, fils du vieil hiver, fils radieux, riche d’espérances, où donc es-tu ? Pourquoi tarder ainsi à remonter sur ton trône ?

« Viens ! viens ! Tes amis te cherchent dans le monde dépouillé. Viens déployer sous le ciel bleu la tente verte des arbres.

« Viens guérir l’aurore, la fille sereine de la création ; viens la guérir, elle est malade. Vois comme elle est assise, toute pâle, au bord de l’horizon.

« Elle bénira de nouveau les prairies quand tu auras béni le ciel bleu ; guérie par toi, elle versera de pures larmes de joie, fraîche rosée pour la terre.

« Amène-moi aussi tes alouettes, mes douces maîtresses de poésie ; ce sont elles qui m’ont appris de beaux chants de liberté, lorsque j’étais encore enfant.

« Et n’oublie pas les fleurs, oh ! n’aie garde de les oublier, apportes-en le plus que tu pourras, remplis-en tes deux mains ;

« Car le champ de la mort s’est agrandi dans ces derniers temps ; les saintes victimes de la liberté sont étendues de toutes parts, moissonnées dans la bataille.

« Puisque dans leur tombe humide les morts sont couchés sans linceul, comme un linceul sur les morts jette tes fleurs à mains pleines. »


Il n’y a point trace de découragement dans cette pensée des morts. On sait que le poète et le soldat ont confiance dans ce printemps qu’ils appellent. Hélas ! c’était le dernier mois de mai qu’il devait saluer de ses chants ; mais pourquoi eût-il perdu courage ? S’il avait survécu à cette guerre, il aurait envié le sort des victimes pour lesquelles il demandait une pluie de fleurs. Un de ses vœux les plus ardens était de mourir l’épée à la main pour la cause de la Hongrie. Il s’écriait déjà en 1846 : « Une seule pensée me tourmente, la pensée que je puis mourir dans mon lit, sur des coussins, languissant comme la fleur dont le ver a mordu la racine ! Épargne-moi une telle mort, ô mon Dieu ! Si ce peuple, fatigué du joug, s’élance un jour au