Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/956

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore, l’influence du foyer, les émotions de la patrie, ont donné à son talent cette saveur généreuse qui est le résultat des années dans une existence bien conduite. Toutes ses paroles nous révèlent un mélange inaccoutumé de force et de grâce. C’est une grâce non cherchée, c’est une force qui se possède. Quand la patrie est malheureuse, la famille le console, et il trace de suaves tableaux d’intérieur qui consoleront aussi le peuple des Magyars. Telle est la pièce intitulée le Monde de l’Hiver. Nous sommes au mois de janvier 1848 ; l’hiver est triste dans les longues plaines de la Hongrie, la terre est nue, misérable, pareille aux bohémiens de la Puszta. Heureuse alors la maison où l’on se réunit en famille ! heureuse la plus humble des cabanes où le père et la mère, entre l’aïeul et les enfans, accueillent les amis, les voisins, et forment comme une tribu patriarcale, une tribu confiante et joyeuse au milieu de la désolation du monde ! Cette cabane le poète nous y conduit. Oh ! la bonne salle hospitalière ! le gai foyer qui flambe ! Et quels braves gens ! Comme ils résument bien, jeunes et vieux, l’image naïve de l’humanité ! Si ce sont là des lieux-communs, le poète en fait une œuvre originale par la vérité des détails et l’accent qu’il y met. Le tableau emprunte d’ailleurs un sens particulier aux strophes patriotiques que Petoefi écrivait à cette date. On comprend aisément la secrète pensée qui l’anime. «Amis, semble-t-il dire, conservez-vous sains et joyeux ; l’hiver ne durera pas toujours, tenez-vous prêts pour le réveil de la nature. Petites tribus dispersées, vous formerez un jour une nation ! »

Les joies de la famille, si cordialement ressenties, n’ont pas fait oublier à Petoefi les devoirs du patriotisme ; le patriotisme ne lui fera pas oublier la poésie. Seulement il la veut sincère, virile, digne enfin des grands intérêts qui s’agitent et des luttes qui se préparent. Depuis la renaissance de la littérature nationale, les chanteurs s’étaient levés par centaines, et Dieu sait combien de fadaises menaçaient d’énerver ce jeune idiome à peine délivré de ses entraves. Petoefi, avec sa franchise populaire, avait toujours détesté

Les rêveurs, les pleurards à nacelles,
Les amans de la nuit, des lacs, des cascatelles.


La fausse poésie lui devint plus odieuse que jamais au moment où tant de mâles espérances faisaient battre les cœurs. Ce qui affadit le goût littéraire peut amollir aussi les consciences. Petoefi comprit qu’il faisait œuvre d’artiste et de citoyen en châtiant le troupeau des rimeurs nocturnes. La satire est violente et comique à la fois. Poète de l’action et chantre du soleil, c’est la lune cette fois qu’il fait parler :