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France qui a donné à la Hongrie sa glorieuse dynastie des ducs d’Anjou, — et de là cette tradition de la France sauvée du pillage des Turcs par le secours des Magyars.

Il ne serait pas difficile à un commentateur de découvrir dans la seconde partie du Héros János un fantastique symbole des destinées de la Hongrie. Les Magyars, dans le récit du poète, ont la gloire de délivrer la France ou l’Europe. Au moment où ils arrivent, les Turcs pillaient à plaisir cette magnifique proie ; les églises étaient saccagées, les villes dévastées, toutes les moissons emportées dans les granges des vainqueurs ; le roi, chassé de son palais, errait misérablement au milieu des ruines, tandis que les barbares avaient emmené sa fille. « Ma fille, ma fille chérie ! disait le malheureux roi à ses libérateurs ; celui qui me la rendra, je la lui donnerai pour femme. — Ce sera moi, disait tout bas chacun des cavaliers magyars, je veux la retrouver ou périr. » János seul était insensible à cette promesse ; il ne cessait de voir dans ses rêves les toits de son village et les blonds cheveux d’Iluska. C’est lui pourtant qui tue le pacha des Turcs, c’est lui qui délivre la fille du roi. Il ne tiendrait qu’à János de régner sur la France ; mais János n’hésite pas : Iluska lui a promis de l’attendre, il repart comblé de richesses et s’embarque pour son pays. Le héros n’est pas au terme de ses aventures ; une tempête affreuse s’élève, le navire est brisé, et le trésor tombe à la mer. Qu’importe à János, pourvu qu’il revoie Iluska ? Hélas ! hélas ! quand il arrive, la pauvre Iluska est morte. « Ah ! s’écrie le héros en sanglotant, pourquoi ne suis-je pas tombé sous le sabre des Turcs ? pourquoi n’ai-je pas été englouti par les flots ? » C’est ici que la secrète intention du poète se dégage des fantaisies qui l’enveloppent. Le trésor que les Hongrois avaient conquis lorsqu’ils se battaient au XVe siècle pour le salut de la chrétienté, c’était leur existence distincte au sein de la société européenne ; la Hongrie des Hunyades était aussi glorieuse que forte, et l’Autriche avait tremblé devant elle. Ce trésor qui lui assurait l’avenir, un jour de tempête l’emporta. Soumise par les Turcs en 1526, elle ne fera plus que changer de maîtres. Que lui reste-t-il désormais, sinon le domaine des rêves, ou plutôt celui du long espoir et des vastes pensées ? C’est aussi de cette façon que Petoefi comprend la destinée de son héros ; pour se rendre digne de celle qu’il aime, pour lui conquérir un trésor, le jeune Magyar avait parcouru le monde à chevalet le sabre à la main ; pour qu’il puisse la retrouver après sa mort, le poète lui ouvre je ne sais quel domaine idéal où l’attendent des merveilles inouïes. Nous ne visitons plus les Tartares ou les Indiens ; voici les poétiques apparitions de la Puszta, géans, fées, bienfaisans génies toujours prêts à se mettre au service des Magyars. J’aperçois les flots étincelans de la mer d’Operenczer, dont le rôle est si grand dans les fabuleuses