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Des jours meilleurs allaient se lever pour lui. Tandis que les spectateurs sifflaient le comédien ridicule, les chansons du poète, sous un nom supposé, faisaient leur chemin d’un bout de la Hongrie à l’autre. Petoéfi comprit enfin sa destinée. Encouragé par la réputation naissante de ses vers, il n’hésite plus à s’en déclarer l’auteur, et, retournant à Pesth pour la quatrième fois, il s’y consacre désormais aux œuvres de la poésie. C’est à cette époque, au printemps de l’année 1844, qu’il fut accueilli par l’illustre écrivain Michel Vörösmarty comme un jeune maître devant lequel devaient s’incliner les anciens. Un autre écrivain, un noble vieillard dévoué aux lettres nationales et patron empressé de quiconque les honorait, M. Paul Széméré, fut aussi dès le premier jour parmi les protecteurs du poète. Le Cercle national, société politique et littéraire où se déployait sans bruit un libéral esprit de renaissance hongroise, lui vota, sur la proposition de Vörösmarty, de solennels encouragemens. Ce jeune homme de vingt et un ans, qui, la veille encore, s’ignorant lui-même, s’exposait à être sifflé sur de vulgaires tréteaux, passait tout à coup au rang de poète consacré, et c’était une société nationale qui se chargeait de publier ses vers.

Ce premier recueil, intitulé simplement Poésies de Petoefi Sandor[1], parut à Ofen en 1844. Les pièces qu’il renferme se rapportent aux trois années précédentes. Toutes les émotions que le poète a ressenties pendant son existence vagabonde, ses cris de joie ou de douleur, ses juvéniles ardeurs entremêlées de défaillances mélancoliques, ses courses à travers le pays, ses longues rêveries dans les tavernes, les remarques bouffonnes ou attendries que lui inspire le spectacle du monde, voilà le sujet de ses chants. Certes il n’y a point là d’éclatantes occasions pour l’essor de la pensée lyrique ; Petoefi ne chante pas encore la patrie et la liberté. D’où vient donc que ce tableau de la vie d’un bohémien a si vivement saisi les imaginations ? D’où vient que ce coureur d’aventures, cet échappé de la caserne, ce comédien sifflé, est accepté par tous dès ses premières confidences et salué comme le chantre national ? Deux choses peuvent expliquer ce succès extraordinaire. Bohémien ou non, c’était bien la Hongrie que peignait Sandor Petoefi, et il le faisait dans une langue simple et mâle, familière et vibrante, qui jamais n’avait résonné ainsi aux oreilles des Hongrois. Rien de convenu, rien d’académique, comme chez les laborieux artistes qui l’avaient précédé. Servi par son instinct, le naïf chanteur avait retrouvé les accens perdus de la poésie primitive. Soit qu’il chantât ses amours, soit qu’il célébrât le vin de Hongrie avec ses compagnons attablés, toujours quelque chose de viril relevait chez lui la vulgarité du sujet.

  1. Les Hongrois ont coutume de placer le nom de baptême après le nom de famille.