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les murailles du collège ; où ira-t-il ? Il a entendu parler de la ville de Pesth et de toutes les belles choses qu’on y admire ; c’est vers la capitale de la Hongrie que se dirigera le vagabond. On croit lire ici un chapitre de Wilhelm Meister : l’échappé du lycée de Schemnitz n’a que douze ans à peine, et déjà il est passionné comme le héros de Gœthe pour toutes les choses du théâtre. Dans ses rêves, il apercevait toujours une toile qui se levait, et derrière cette toile maints personnages brillamment costumés représentant de merveilleuses aventures. Une fois arrivé à Pesth, et sa dernière pièce de monnaie dépensée, le petit vagabond va offrir ses services au directeur du théâtre. N’avait-on pas des rôles d’enfant à lui confier ? Si on ne voulait pas l’engager à titre de comédien, il serait volontiers le valet du régisseur ou l’aide du machiniste ; il porterait les chaises et les tables sur la scène ; il se tiendrait dans la coulisse, prêt à exécuter tous les ordres, et, tout en faisant cette besogne, il apprendrait son métier de comédien. Sa demande est accueillie, et voilà le futur poète national au comble de ses vœux. Son bonheur ne dura pas longtemps ; averti de cette audacieuse escapade, le père faisait des recherches qui le mirent bientôt sur la trace du fugitif. Il arrive à Pesth avec son cheval et sa charrette, va droit au théâtre, prend l’enfant par l’oreille, et le ramène au village vertement corrigé.

La mère pleura beaucoup quand elle vit revenir son fils ; on dit cependant qu’elle éprouvait une fierté secrète au milieu de ses inquiétudes et de ses larmes. L’excellente femme, émerveillée de cette naïve ardeur chez un esprit si jeune, y voyait l’annonce d’une carrière qui peut-être ne serait pas sans honneur. Le père avait des idées toutes différentes ; il voulait que son fils fût un paysan comme lui, et il commençait à se défier de ces études qui avaient tourné la tête de l’enfant. Ces goûts littéraires, cette manie de faire des chansons, tout cet enthousiasme que la mère accueillait avec joie ne lui semblait autre chose qu’un prétexte à vagabondage. Pour punir l’écolier rebelle, il le retint près de lui pendant quelques années, puis enfin, ne pouvant réussir à lui imposer un genre de travaux qui répugnait à tous ses instincts, il se décida à le renvoyer au lycée. Petoefi avait un parent à OEdenburg ; c’est dans cette ville et sous la surveillance de ses parens qu’il doit achever ses études. Il part à la fin des vacances de 1839 pour se rendre à son poste. Chemin faisant, une idée subite lui traverse le cerveau ; l’amour de la liberté était bien autrement vif dans son cœur que le goût des études régulières. Ira-t-il s’enfermer dans un lycée, lui qui la veille encore montait les chevaux sauvages de ses steppes natales et parcourait dans tous les sens les grands espaces déserts qui s’étendent de la Theiss au Danube ? Il a seize ans bientôt, la vie active l’appelle, et il n’a pas besoin d’être emprisonné pour continuer ses études. Il