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les vitesses. Il faut aussi se rendre bien compte de la valeur réelle des effets de pénétration. Une balle tirée de près dans un carreau le perce simplement d’un trou, tandis que de loin elle le fait volet en éclats. De même un boulet à grande vitesse ne fait dans la coque d’un navire qu’une ouverture réduite aussitôt par l’élasticité des fibres à un diamètre moindre que celui du projectile, et un bouchon suffit à l’étancher : s’il arrive plus lentement au contraire, il ne pénètre pas, mais son choc disloque toute la membrure. Sous ce rapport, les grandes vitesses exposent peut-être à des mécomptes dont la recherché de l’augmentation des calibres semble exempte. Les bouches à feu d’une grande dimension, et nous en avons cité plusieurs exemples, ont été employées autrefois ; il est donc possible de s’en servir encore en les améliorant au moyen des connaissances plus étendues que nous possédons maintenant. On fait valoir en faveur des projectiles doués d’une grande rapidité qu’un boulet de 15 kilogrammes, animé d’une vitesse de 500 mètres par seconde, possède exactement la même force vive qu’une masse de fonte de 37,500 kilogrammes parcourant seulement 10 mètres par seconde, c’est-à-dire marchant avec la rapidité d’un train express. Cela est vrai ; mais qui oserait comparer les effets du choc dans les deux cas ? La puissance de destruction d’un boulet, quelle qu’en soit la vitesse, approchera-t-elle jamais de celle d’une locomotive venant à toute vapeur à la rencontre d’un convoi ? Tout en reconnaissant l’utilité d’étendre la portée et la justesse du tir jusqu’aux plus extrêmes limites de la vue distincte, il nous semble donc que les officiers anglais n’ont pas envisagé très sainement l’avenir de l’artillerie en s’attachant avec persistance à la recherche de vitesses et de portées exagérées, et en négligeant les avantages plus solides, quoique moins brillans, du tir des très gros projectiles.

Un autre progrès non moins important que l’amélioration des bouches à feu, c’est la célérité des manœuvres, qui, pour les gros calibres, est restée très inférieure à ce qu’elle est dans l’artillerie de campagne : une telle différence ne saurait subsister, et la modification du canon entraînera nécessairement celle du chargement et du pointage. La marine paraît disposée à prendre l’initiative d’innovations à cet égard. De même qu’au moment du combat elle consacre tous ses matelots au service de l’artillerie, elle ne paraît pas éloignée d’approprier aux mêmes fonctions les machines qui se chargent de suppléer à l’action inconstante du vent. Il y a là, selon nous, le germe d’une idée féconde et dont l’application ne doit pas se borner à l’enceinte étroite d’un vaisseau. Ce ne serait pas le premier emprunt fait à l’industrie par l’art militaire, dont le propre est au contraire d’absorber à son profit toutes les forces que l’homme peut créer. On pourra sans doute utiliser pour la guerre ces machines