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réelles, à faire passer son système dans la pratique. Il était réservé à un Anglais, M. Armstrong, d’obtenir le premier un tel honneur. Son arme est peu connue encore malgré tout le bruit qui s’est fait à ce propos, et la réputation qu’elle a value à l’auteur. Toutefois des renseignemens assez précis donnent lieu de penser qu’il y a quelque exagération dans les éloges qu’on lui a prodigués, et le gouvernement britannique s’est peut-être un peu trop hâté de fabriquer un grand nombre de canons sur un modèle nouveau dont l’idée première a beaucoup de valeur sans doute, mais qui n’a encore reçu ni la sanction d’une expérience prolongée, ni toutes les améliorations dont il est susceptible.

Plus qu’en toute autre circonstance cependant, il est nécessaire d’étudier avec une attention scrupuleuse la valeur de chacune des dispositions proposées par M. Armstrong, qui a donné librement carrière à son esprit inventif en modifiant tout ce qui avait été adopté par ses prédécesseurs. L’application des rayures aux bouches à feu, en permettant de diminuer les charges, affaiblissait dans la même proportion la pression sur la culasse et augmentait les chances d’obtenir un bon système de fermeture. M. Armstrong a dédaigné ces avantages ; en se servant de charges très fortes, il a réussi à envoyer des boulets jusqu’à la distance de neuf mille yards, environ 8 kilomètres, on a dit même neuf milles, ce qui ferait plus de 14 kilomètres. La grande quantité de poudre employée par lui anime les projectiles d’une force vive très considérable, car, d’après les résultats publiés, un boulet oblong, d’un calibre analogue au 8 français et pesant un peu plus de huit kilogrammes, aurait percé, à 900 mètres, une cible en bois d’orme de trois pieds d’épaisseur, et ne se serait arrêté qu’à 360 mètres au-delà. Un tel résultat n’a rien d’invraisemblable et ne dépasse pas ce qu’il était permis d’attendre. Les anciens canons n’auraient pas été assez solides pour supporter un semblable effort, et il a fallu prendre des dispositions spéciales pour augmenter la résistance des parois. M. Armstrong y est parvenu en substituant au bronze le fer forgé, qui est plus tenace, et qui a la propriété d’absorber une moindre portion de la chaleur développée par la combustion de la poudre. Malgré les progrès récens de l’art de forger les grosses pièces de fer, on n’avait pas cru, en France, pouvoir adopter le modèle de canon en fer proposé, il y a quelques années, par les maîtres de forges d’Audincourt, et qui à figuré à l’exposition générale de 1855. Pour éviter ces difficultés si grandes de fabrication, M. Armstrong compose son canon d’une bande de fer enroulée autour d’un mandrin et soudée sur elle-même, comme le sont les canons à rubans des fusils de chasse : une seconde bande est enroulée en sens inverse sur la première, et la partie postérieure du canon est recouverte de cercles en fer. Les