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Il avait fait la connaissance d’un Espagnol nommé Nodaro, homme à son aise et même riche, qui l’avait pris en grande amitié pour sa jeunesse, sa bonne mine et l’agrément de sa conversation. Le trouvant triste, pâle, abattu, il lui demanda d’où venait son chagrin, s’il lui était survenu quelque fâcheux accident, ou si, loin de son pays, il éprouvait quelque gêne et avait besoin d’argent, mettant bien volontiers sa bourse à la disposition de son jeune ami. Mazarin se garda bien de lui dire toute la vérité ; il lui fit la fausse confidence que depuis quelque temps il attendait par le courrier de Rome une somme assez considérable, et que, le dernier ordinaire ne la lui ayant pas apportée, ce retard le contrariait, ne connaissant personne à Madrid qui le pût accommoder d’une douzaine de doublons. Par là il laissait entendre qu’il avait chez lui du bien, il inspirait de la confiance à Nodaro, et il espérait en tirer une bonne somme, avec laquelle il comptait se remettre au jeu, gagner infailliblement, et s’acquitter ensuite envers le bonhomme en lui faisant accroire que c’était avec l’argent qui lui était arrivé de son pays. L’Espagnol avait aussi son plan. Croyant Mazarin assez riche sur ses allures et ses discours, et en passe de parvenir à tout avec les liaisons et les protections qu’il lui voyait, il s’était mis en tête de lui faire épouser sa fille. Il saisit donc bien vite l’ouverture que lui faisait Mazarin, et, tirant une bourse pleine de doublons, il lui dit : « Prenez ces doublons, mon fils ; il y en a d’autres chez moi qui sont également à votre service, et ne voyez là qu’une marque de la pure et sincère affection que j’ai pour vous. » À cette offre généreuse, Mazarin ne manqua pas de faire un peu de résistance ; mais, pressé par ce tendre ami, il finit par se laisser vaincre : il prit dix doublons en disant que c’était seulement pour ne pas répondre à une politesse par un refus discourtois. L’Espagnol et l’Italien se séparèrent en se faisant mille protestations d’amitié, et en se félicitant au fond du cœur du bon tour qu’ils venaient de jouer. Mazarin, transporté de joie et rempli des plus heureux augures, alla tenter de nouveau la fortune, et il réussit tellement qu’en fort peu de temps il gagna une très grosse somme ; puis, au lieu de la risquer, il quitta le jeu, retourna chez lui, et, le jour du courrier de Rome, se rendit chez son ami, lui dit qu’il venait de recevoir les fonds qu’il attendait, et lui remit ses dix doublons avec force remerciemens. Cette ponctualité persuada encore davantage à Nodaro que Mazarin avait de la fortune, et augmenta son désir de lui voir épouser sa fille. Celle-ci était belle et déjà très experte dans la galanterie espagnole. Les deux jeunes gens se virent, se plurent, s’aimèrent. Le père favorisait leurs amours ; l’affaire marcha vite : le mariage fut demandé, accordé, arrêté, tous les arrangemens pris ; il ne manquait que le consentement de don