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vie de plaisirs qu’ils vont chercher en France, et dont on ne tire que trop souvent la ruine ou au moins de cruels embarras ! »

Dans les colonies, il est juste de le reconnaître, l’esprit de retour vers le pays d’origine, le désir de montrer une fortune conquise au loin, celui de respirer l’air d’un plus large horizon, ont entretenu de tout temps un courant d’expatriation, et l’on n’aurait pas à s’en alarmer, s’il n’eût doublé d’intensité depuis l’émancipation qui a troublé les habitudes seigneuriales des uns, patriarcales des autres, diminué la fortune et l’éclat de l’existence chez tous ceux qui n’ont pu ou su la faire tourner à leur profit. À juste titre, on lui impute une part dans l’appauvrissement moral, intellectuel et financier des colonies. On n’y peut entrevoir d’autre remède direct qu’un contre-courant opposé qui fasse affluer vers elles les capitaux et les esprits d’Europe en quête de brillantes et solides spéculations. Comme cause indirecte de l’absentéisme, il faut tenir compte de l’emffacement trop complet où les représentans de l’état tiennent les individualités locales. Au cœur humain ne suffisent ni les joies isolées de la famille, ni les agrémens d’une petite société de parens et d’amis ; assez vite il se lasse des plaisirs champêtres, même des satisfactions de l’amour-propre ; aux yeux des femmes, les délices d’un merveilleux climat pâlissent à la longue devant les splendeurs de Paris. Ainsi se développent des aspirations auxquelles devrait répondre un plus libre essor dans l’existence coloniale, que la métropole, bien plus que la nature, comprime aujourd’hui. Plus de conseil supérieur comme dans l’ancien régime, ni d’assemblée coloniale comme sous la révolution, ni de conseil colonial comme sous la restauration et le gouvernement de juillet ; un simple conseil-général tenant une session de quinze jours, un conseil privé où les fonctionnaires sont en majorité, les divers services publics en majorité aussi composés de Français venus de la métropole, aucune illusion de self-government : ce n’est point assez pour maintenir le patriotisme local qui s’attache à un pays en raison même des services qu’on peut lui rendre, de l’autorité morale que l’on peut y acquérir dans un rôle influent. Chez nous, le gouvernement plane et pèse sur tout, domine tout. Plus le royaume est petit et la population faible, plus le lien, sinon le joug, se fait sentir. L’indépendance personnelle, que la féodalité avait exagérée, mais qui n’en reste pas moins le vrai caractère des grandes existences territoriales, serait la meilleure compensation au prestige qui manque à une scène trop étroite : où elle fait défaut, le calcul des jouissances prend le dessus, et il n’invite pas, quoi qu’on en dise, l’homme de talent et de fortune à végéter dans un coin perdu du globe. À cet égard, Paris n’a pas de comparaison à redouter. Une fois sur la pente, l’histoire