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III. — LES SUBSISTANCES — LA GRANDE PROPRIETE — LE REGIME COMMERCIAL –— L’ABSENTEISME.

Ainsi envisagée dans ses traits les plus saillans, la situation économique de La Réunion ne laisse pas soupçonner les plaies intérieures qui rongent la colonie. Cette société, si prospère à la surface, est pourtant malade dans ses profondeurs. Faute d’équilibre et d’harmonie entre les diverses forces qui la constituent, elle avance vers l’inconnu avec plus d’ardeur que de sagesse, au risque de se briser contre des écueils.

Ces écueils, des voix vigilantes et sincères les lui signalent avec insistance. Elles disent que la canne à sucre, s’emparant de toutes les terres cultivables, devient l’unique base de la fortune coloniale, et l’expose à des risques terribles si une maladie venait frapper cette plante, comme on l’a vu en Europe pour la vigne, la pomme de terre, le ver à soie. La rareté et la cherté des denrées alimentaires, qui sont la conséquence de ces empiétemens de la canne, imposent aux classes pauvres de dures privations et menacent sans cesse la colonie d’une disette. Le même courant engloutit les moyennes et petites propriétés dans les grandes, où trône la canne seule. Des crises monétaires et commerciales viennent, à de courts intervalles, entraver les transactions et compromettre les bénéfices acquis. Les rigueurs du pacte colonial gênent le commerce dans ses plus légitimes spéculations, et la solidarité de ses entraves pèse sur la production tout entière. Enfin le charme qui longtemps retint les propriétaires au pays natal semble s’effacer, et l’absentéisme, comme un ver rongeur, s’insinue au cœur de la colonie. Les sinistres mots d’Irlande et de paupérisme retentissent même dans les solennités officielles.

Toutes ces causes de malaise peuvent se rapporter à un seul principe, l’essor exclusif de certains organes du corps social, l’arrêt de développement des autres. Quant au remède, il faut aussi le demander à une idée générale et suprême, au développement régulier de toutes les forces. Opposez aux envahissemens de la canne l’accès facile de toutes les terres où d’autres cultures redouteront sa concurrence moins que sur le littoral ; combattez ce qui survivra de cherté alimentaire parle libre commerce à l’intérieur, par le libre approvisionnement à l’extérieur ; modérez la prépondérance excessive des grandes habitations par la constitution d’une classe moyenne dans des communes rurales ; tempérez le monopole métropolitain, qui engendre les crises monétaires et commerciales, par une large liberté de commerce avec les peuples étrangers ; écartez les tentations de l’absentéisme par des conditions d’existence politique et administrative qui captivent l’ambition. Aux maux qui dérivent d’une liberté