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firent tout pour l’acquérir, lui promettant monts et merveilles ; mais ils ne parvinrent pas à le séduire : loin de là, il se hâta de quitter leur école, et de peur de tomber entre leurs mains, il abandonna l’étude, se jeta dans la dissipation et mena une vie fort peu édifiante.

Mazarin avait été presque élevé avec les enfans du connétable Colonna, qui étaient à peu près de son âge et goûtaient fort sa conversation et son esprit. De son côté, il s’appliquait à leur plaire, et dès lors on remarquait en lui le soin qu’il eut toujours de se lier avec des personnes d’une condition au-dessus de la sienne et de s’avancer vers les premiers rangs. Dans le palais Colonna, il fit plus d’une connaissance utile ; il prit le ton et les mœurs du grand monde, il en prit aussi les vices. La grande passion du temps était le jeu. Mazarin s’y livra avec ardeur, et il y devint bientôt maître ; il gagnait beaucoup d’argent, en sorte qu’il menait un assez grand train, avait toujours les plus riches habits, des bijoux, des diamans. C’était un beau joueur dans toute l’étendue du terme, hardi au dernier point, et en même temps généreux. Jamais, si l’on en croit celui de ses biographes qui l’aie plus connu pendant sa jeunesse, on ne le vit changer de visage, jamais il ne lui échappa un mot malséant ; il remuait, comme on dit, les écus à la pelle, et il avait coutume de dire que « le magnifique a le ciel pour trésorier[1]. » Mais la fortune est changeante : un jour elle tourna le dos à son favori d’une si étrange façon qu’il se trouva ruiné, forcé d’engager à un Juif ses beaux vêtemens, ses riches joyaux ; il ne lui restait plus rien d’un peu précieux qu’une paire de bas de soie ; il l’engagea encore et en tira quelques petites pièces avec lesquelles il se remit à jouer, et si heureusement qu’il eut bientôt de quoi racheter ses habits et ses diamans. « C’est un fait que je puis attester en toute certitude, dit le biographe sur lequel nous nous appuyons, car j’étais avec lui quand il alla reprendre ce qu’il avait engagé. »

Après avoir passé plusieurs fois par ces brusques alternatives, un jour nageant dans l’or et le lendemain n’ayant pas un sou, il s’ennuya de cette vie de désordre, résolut d’y renoncer, et pour cela chercha une occasion de quitter Rome pendant quelque temps, afin d’y revenir un homme nouveau. Il semble que la fortune avait écouté ses vœux, car en ce temps le connétable Colonna envoyait en Espagne un de ses fils, don Jérôme Colonna, qui se destinait à l’église et devint depuis cardinal[2]), pour apprendre le droit canon et le

  1. On lit dans la bonne copie du mémoire anonyme : « Mostrava maneggiur i denari, come si suol dire, con la pala, e sovente dir soleva che ad un uomo splendido il cielo è tesoriero. »
  2. Né en 1604, cardinal en 1627, archevêque de Bologne, puis évêque de Frasca, mort en 1666.