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des affranchis ; à défaut des pères, disposés à fuir un travail qui était pour eux un souvenir et une forme de l’esclavage, on aurait pu agir sur les jeunes gens, sur les enfans même. Les 24 millions de francs que La Réunion a dépensés en huit ans pour faire venir des coolies de l’Inde, appliqués en primes au travail et en élévation de gages, n’auraient certainement pas été stériles. Pour décider les affranchis à se rapprocher des propriétaires, les règlemens imposés aux engagés exotiques ne pourraient-ils être adoucis ? Si aucun noir ne veut subir le livret du coolie, n’est-ce pas une suspicion contre le livret lui-même ? Il conviendrait aussi de modifier les mœurs locales, s’il en reste quelque vestige blessant pour la fierté d’hommes qui, sans bien apprécier les conditions de la liberté, se savent fort bien échappés à l’esclavage. Dût-il en coûter un sacrifice d’argent ou d’amour-propre, l’immense avantage de constituer une société homogène et de retenir dans le pays le montant des salaires vaut bien quelque peine. Ce n’est que lorsque ce rapprochement volontaire et réciproque aura eu lieu que l’on pourra tenir pour assise sur ses vraies et solides bases la production coloniale, dont nous avons maintenant à apprécier les caractères et les ressources.


II. — LA PRODUCTION — LE SUCRE — LE CAFE — LA VABUKKE — LES VIVRES — CULTURES ET INDUSTRIES SECONDAIRES.

A. La Réunion, la production roule presque entièrement sur le sucre ; à lui seul, il forme les 97 centièmes de l’exportation. Il n’en fut pas toujours ainsi. À d’autres époques, les plantes alimentaires ou, comme on dit aux colonies, les vivres, les tabacs, le café, le girofle, le coton, dominaient ensemble ou tour à tour. Cette mobilité d’allures, qui passe d’un produit à l’autre suivant les variations des règlemens et même de la mode, est un des caractères de l’agriculture coloniale à peu près inconnu à l’agriculture européenne. Il est trop certain que les colonies, au lieu de vivre pour elles-mêmes et de s’assurer d’abord des nécessités immédiates de l’existence, ont été artificiellement conduites à n’être que les annexés commerciales des métropoles : par cette instabilité fâcheuse, leurs opérations se rapprochent de l’industrie manufacturière, soumise comme elles aux chances des révolutions économiques. Elles ne se consolident qu’en s’appropriant quelques-uns de ces produits, qui furent d’abord de luxe et deviennent aujourd’hui de nécessité, parce qu’ils entrent de jour en jour dans la consommation générale des peuples comme matières premières de la nourriture et de la fabrication : dans cette catégorie sont le sucre et le coton.

La Réunion s’est approprié le sucre en des proportions qui semblent défier désormais l’inconstance de la fortune. Sur le littoral,