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1814, il donna à l’empereur de Russie, au roi de Prusse et aux autres souverains alliés un dîner qui ne coûta pas moins de 9,849 livres sterling. Trois semaines après, la même société traitait le duc de Wellington avec une égale splendeur. Ce club existe encore ; il occupe même dans Saint-James-street une maison qui ne manque point de magnificence ; mais il n’est plus guère célèbre que par ses bons dîners et par les sentimens de bonne amitié qui règnent entre les membres, presque tous riches, tranquilles et conservateurs.

Je ne m’arrêterai pas davantage aux subscription clubs qui, en face des club houses du nouveau régime, ne présentent après tout qu’un intérêt médiocre. À ces établissemens tenus par un maître et dont les membres contribuent pour une somme annuelle aux dépenses de la maison, sous la surveillance d’un comité, ont succédé dans ces derniers temps des institutions d’un tout autre caractère. Il est une nouvelle classe de clubs dans lesquels un certain nombre d’individus s’associent pour louer ou bâtir une maison, engager des domestiques et se fournir à eux-mêmes, au prix du marché, tout ce qu’on sert, en faisant la part du lion, dans les restaurans et les cafés. Ces derniers, les club houses, constituent de véritables ménages aristocratiques.

La première fois que je me promenais à Londres dans le voisinage de Saint-James’s-Park, je fus frappé par la vue de brillans édifices qui s’élevaient de distance en distance, et qui donnaient à cette partie de la ville un caractère de richesse et de majesté. Il y en avait de tous les styles, grec, romain, italien, simple ou fleuri, mais toujours avec un air de famille. Mon étonnement redoubla dans Pall-Mall, où les palais succèdent aux palais ; ce n’étaient que colonnades, portiques, bas-reliefs, frises et autres ornemens d’architecture. Comme ces nobles bâtimens n’avaient pourtant point le caractère de vrais monumens publics, et comme j’étais encore sous l’influence des idées qu’on se fait en France de l’aristocratie anglaise, je me demandais quelles étaient les anciennes familles assez riches pour subvenir à l’entretien de si ruineuses demeures. Un Anglais se chargea de dissiper mon illusion en m’apprenant que chacune de ces résidences princières était occupée, comme il disait, par un lord collectif. J’avais en effet devant les yeux les club houses de Londres, ces palais élevés par le principe d’association au bien-être matériel et aux plaisirs de la vie morale. Ce sont à la fois des hôtels, des restaurans, des cafés, des foyers de conversation, des cabinets de lecture et des bibliothèques. De tels établissemens ne sont pas la propriété d’un individu, ils appartiennent à des groupes nombreux d’associés. Les club houses constituent les vrais monumens de l’époque ; les plus anciens d’entre eux ne remontent guère au-delà de 1826. L’étranger s’arrête surtout avec surprise devant le