Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui était d’une largeur appropriée au but de l’institution, avait deux entrées, l’une par une porte d’une dimension modérée, et l’autre par une vaste porte à deux battans. Si le candidat pouvait s’introduire par la première, il était regardé comme indigne ; mais, s’il se trouvait arrêté au passage par sa vénérable corpulence, les deux battans de la porte d’honneur s’ouvraient immédiatement devant lui, et il était salué du nom de frère par l’imposante société : de sorte que la première condition pour être admis dans cette assemblée était de ne pas pouvoir y entrer. En opposition au club des hommes gras s’érigea dans la même ville[1] un club de squelettes (Thin Club). Ces derniers, étant maigres et envieux, représentèrent leurs rivaux comme des hommes de mauvais principes ; ils firent si bien qu’ils leur enlevèrent la faveur publique. Les deux factions se déchirèrent pendant des années, et les hommes maigres menaçaient de fermer aux hommes gras la porte des magistratures civiles, lors-qu’enfin ils consentirent à pactiser. Il fut convenu que les deux principaux magistrats de la ville seraient dorénavant choisis dans l’un et l’autre club. Ces deux magistrats furent en conséquence accouplés d’année en année suivant la loi des contrastes : un gras et un maigre.

La taille et les autres accidens de la nature servirent également de base à des associations bizarres. Il y avait à Londres le club des hommes grands (Tall Club). Ces géans se proposaient, disaient-ils, de sauver la race humaine de la déchéance dont elle était menacée par l’invasion des petits hommes, et par les ravages que ces pygmées exerçaient sur le cœur des femmes. Les petits hommes, sachant que l’union fait la force, se formèrent de leur côté en une coalition, the Short Club. Ce club s’était fondé le 10 décembre, le jour le plus court de l’année ; le lieu du rendez-vous était dans Little Piazza (la petite place), et des fenêtres on voyait les marionnettes de Powel, sorte de théâtre et d’acteurs pour lesquels les membres de la société avaient une sympathie toute fraternelle. La première fois qu’ils prirent possession de la salle des séances, la table leur montait jusqu’au menton, et le président disparut dans son fauteuil, de sorte que, malgré la présence de ce dignitaire, c’était presque un siège vacant. Il fut donc décidé qu’on bannirait ces meubles incommodes, faits pour le commun des mortels, mais dont les petits hommes avaient tant souffert, et qu’on les remplacerait par des sièges, des tables et autres ustensiles mieux appropriés à la taille des clubistes. Ceux-ci, ayant reconnu avec assez de bon sens que le ridicule n’était point d’être petit, mais de vouloir paraître grand, juraient

  1. Addison, qui rapporte le fait dans son Spectator, désigne seulement le lieu de la scène sous le nom d’une ville considérable : a considérable market town.