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XVIIIe siècle. C’est alors que florirent le Scriblerus Club, dont étaient Pope, Swift et Arbuthnot, et aussi l’October Club. Ce dernier semble avoir pris son nom dans un changement de ministère. Harley ayant été nommé chef du cabinet au mois d’octobre, des membres du parlement, au nombre de plus de deux cents, se formèrent en une association. Plus royalistes que la reine, ils blâmaient le ministère tory de ne point balayer tous les whigs qui se trouvaient encore dans l’administration, et cherchaient à presser la marche trop lente selon eux du nouveau gouvernement. Quoique d’une couleur plus politique que littéraire, cette société se composait d’hommes de talent et d’hommes d’état qui passaient alors pour les arbitres du goût. Les publications nouvelles y étaient lues et discutées. Un des membres les plus influens du club était Swift, dont l’autorité fit admettre ou rejeter plusieurs candidats. Cette réunion de tories impatiens eut de l’éclat ; mais elle ne semble point avoir exercé une grande pression sur les affaires du temps. La reine Anne était effrayée, Harley était incertain, et les frères (c’est ainsi que les membres du club s’appelaient entre eux) ne purent que gémir de l’inaction de leur parti, qui ne savait point profiter de la victoire[1].

À cette société il faut opposer le Kit-Cat Club. Ce dernier, le plus fameux club qui ait jamais existé, devait son origine à l’amour des Anglais pour les pâtés de mouton (mutton pies). Quelques années avant la révolution de 1688 vivait dans Shire-Lane, près de Temple-Bar, un pâtissier qui s’était rendu célèbre dans son art. Attirés par la rénommée des pâtés de mouton, lord Montague et Dorset, les poètes Prior et Garth, Jacob Tonson, le libraire, et quelques autres se réunissaient dans la boutique. Comme l’enseigne était un chat et un violon, et comme le maître de la maison s’appelait Christopher (par abréviation Kit), le club qui se fonda plus tard, prit le nom de Kit-Cat. Au moment où s’institua cette société, le pays se trouvait dans des circonstances très critiques. Sept évêques protestans étaient enfermés à la Tour de Londres. Les papistes s’agitaient au nom de Jacques II. Les membres du club se rendaient à Shire-Lane sous prétexte de manger des mutton pies ; mais en réalité ils concertaient entre eux des mesures pour réprimer la sanglante insurrection qui ne tarda point à éclater. « Les hommes du Kit-Cat Club, disait Horace Walpole, quoique regardés comme de bons vivans et des gens d’esprit, sont en définitive les vrais patriotes qui ont sauvé la Grande-Bretagne. » Le club survécut de beaucoup au but qu’il s’était proposé dans l’origine, et Christopher, devenu riche, alla s’établir à la Taverne de la Fontaine (Fountain tavern), dans le Strand.

  1. Voyez une lettre de Swift, adressée à l’October Club, et aussi un pamphlet satirique intitulé : Histoire secrète de l’October Club depuis son origine jusqu’à ce temps (1711), par un membre du club.