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bonne entente que s’étaient imposé la France et l’Angleterre était un frein salutaire pour l’une et pour l’autre : il devait neutraliser toute aspiration excessive dans la politique étrangère des deux peuples ; il était par conséquent une garantie de conservation libérale et de paix non-seulement pour eux, mais pour le reste de l’Europe. La formation de cette alliance avait été pour la France un sérieux succès, car elle avait détaché l’Angleterre de cette ligue des cours du Nord qui avait survécu aux coalitions de la fin de l’empire. Grâce à elle, nous pouvions entrer dans le concert européen avec l’avantage d’un concert antérieur et d’une prépondérance morale et matérielle assurée d’avance. Chacun des gouvernemens qui se sont succédé en France depuis trente ans a pu apprécier les bienfaits de cette alliance, ou ressentir l’inconvénient des troubles passagers qu’elle a subis ; chacun également en a connu et accepté la condition : c’était dans les grandes affaires européennes la convenance d’une entente préalable et une disposition réciproque, chez chacun des alliés, à déférer aux avis amicaux de l’autre dans la mesure de ses intérêts légitimes et de son indépendance.

Dans cette condition naturelle de l’alliance intime, dans cette mutuelle condescendance qui entraîne en certains cas, pour un pays, le sacrifice d’une part de sa liberté d’action, il est manifeste que l’Angleterre, comme la France, trouvait la sécurité nécessaire aux intérêts civils de la paix. Nous n’avons pas à examiner si le gouvernement français a, dans ces derniers temps, attaché autant de prix que le gouvernement anglais à cette sécurité ; mais tout démontre qu’à tort ou à raison les Anglais ont cru, depuis un an, que cette sécurité leur faisait défaut. Il y a un an, l’Angleterre était gouvernée par un ministère tory. Ce cabinet avait fait les plus grands efforts pour nous détourner de l’entreprise d’Italie, et lorsque la guerre eut éclaté, il sortit du système de l’alliance intime pour se réfugier dans celui de la stricte neutralité. Le ministère de lord Derby, au moment où la guerre allait finir, fut remplacé par le cabinet libéral de lord Palmerston et de lord John Russell. Les nouveaux ministres prirent position, eux aussi, dans la neutralité, mais il fut bientôt visible qu’ils voulaient et espéraient revenir à l’entente cordiale. Ils crurent avoir atteint leur but au mois de janvier 1860, lorsqu’ils nous fournirent, pour sortir des difficultés italiennes, le « sésame ouvre-toi » des quatre propositions, et lorsqu’ils signèrent le traité de commerce. Ils crurent nous prêter par-là un grand secours, et nous faire des concessions assez importantes pour avoir le droit d’influer sur nos résolutions ultérieures relativement à la Savoie. Ils eurent tort sans doute, et nous nous garderons bien de justifier leur illusion. Nous ne voulons qu’expliquer le sentiment qui a dû les animer lorsqu’ils ont déclaré qu’ils renonçaient à cette alliance virtuelle dont on faisait tant de bruit il y a deux mois. Deux fois en un an, les Anglais ont voulu obtenir du gouvernement français l’abandon de résolutions qui touchaient aux intérêts généraux de l’Europe, et deux fois, sous un ministère libéral comme sous un cabinet tory, ils ont