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main du maître est là authentique, reconnaissable, et quelque repoussans que soient les détails de cette scène, ils ont été transfigurés par la magie de l’art. Ce que nous condamnerions chez un autre peintre, nous l’excusons chez Rubens. Cette partialité de la critique est un des privilèges du génie, qui en, a de si nombreux. Nous n’avons aucune envie de moraliser devant la Kermesse de Rubens, et nous nous sentons scandalisés devant les bergères de Boucher, lequel est cependant un peintre de talent, et a cherché, non sans succès parfois, à imiter Rubens. Les bergères de Boucher, qui sont mieux apprises certainement que les vachères de Rubens, nous paraissent cependant plus indécentes. Craignons toujours d’invoquer témérairement l’exemple des audaces du génie, dans l’art aussi bien que dans tous les autres domaines de la pensée.

Le rôle du critique à l’égard d’un auteur est fort divers. Aux débuts d’un auteur, le critique peut être un conseiller ou un adversaire ; à la fin de sa carrière, il ne doit être qu’un juge. Il y a d’autres périodes où il doit se transformer en astrologue et tâcher de prévoir ce que deviendra l’écrivain. Cette période est ordinairement assez rapprochée des débuts de l’auteur, et peut être déterminée avec précision. C’est généralement vers la troisième ou quatrième œuvre d’un auteur que la transformation du critique en astrologue devient nécessaire. Ce moment nous semble venu pour M. Feydeau, qui en est aujourd’hui à son troisième roman ; essayons de tirer son horoscope. Ses débuts eurent lieu sous un signe propice en apparence : il était protégé par l’astre tout-puissant de Jupiter ; mais l’astre de Saturne est visible les soirs d’été aux mêmes heures que Jupiter. Qu’il prenne garde à Saturne, ses influences sont malfaisantes. Ce globe étrange, cerclé d’un anneau de feu, est le protecteur des fâcheuses inspirations, des hasards malencontreux, du guignon opiniâtre, et l’ennemi des sentimens tendres, de l’harmonie sans dissonance et des inspirations gracieuses. Ceux qui sont placés sous l’influence de Saturne sont plus opiniâtres que constans : ils se raidissent et se cabrent, ils ont plus de muscles que de nerfs, et manquent dans leurs mouvemens de souplesse et d’élasticité. Ils veulent fortement, mais avec fixité pour ainsi dire, et se mettent dans la nécessité de défendre des causes insoutenables. L’astre de Saturne est voilé pour le quart d’heure, mais son influence se fait encore sentir. Le ciel semble neutre, on ne saurait dire s’il se formera prochainement une conjonction d’étoiles propices ; Catherine d’Overmeire laisse l’avenir incertain. M. Feydeau donnera-t-il jamais de lui-même une plus grande mesure que celle qu’il a donnée ? Il veut fortement sans doute, et la volonté peut accomplir bien des miracles ; mais il n’a que de la volonté. Or il en est de la volonté comme du travail industriel, qui peut changer la face du globe, mais