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titre énigmatique. Par Salmacis ! il y a un mystère dans ce titre. Le livre nous transporte aux temps mythologiques, sur les rivages parthénopéens, et nous raconte sous un voile transparent l’histoire des entraînemens passionnés d’un jeune égipan vers un jeune satyre. À travers les pages du récit, on entrevoit les bizarreries criminelles de l’âme qui regardent comme à travers une lucarne : tuentes hirci. Les nymphes faciles écoutent et rient comme dans l’églogue de Virgile ; le tout est accompagné de si belles cantates en l’honneur de la morale, que nous ne pouvons qu’engager l’auteur à continuer ses bonnes actions.

Qui Bavium non odit, amet tua carmina, Mœvi ;
Atque idem jungat vulpes, et mulgeat hircos.

Je n’aurais pas fait mention de ces deux romans, si les sujets qu’ils traitent ne soulevaient une question critique très importante qui est en litige depuis longtemps, et qui sera débattue, selon toute apparence, tant qu’il y aura dans le monde une littérature. La fantaisie du poète et du romancier est-elle indiscutable ? Existe-t-il des sujets qu’elle doit s’interdire, des limites qu’il lui est défendu de franchir ? C’est une question fort délicate, et qu’il est impossible, je crois, de trancher par un jugement absolu. Quelques-uns pensent que le domaine de l’imagination est le même que celui de la morale ; d’autres ne reconnaissent à personne le droit de demander compte au poète de ses fantaisies, et pensent que les objections de la critique doivent porter non sur la conception, mais sur l’exécution d’une œuvre. Ne recherchons pas, si vous voulez, laquelle de ces deux opinions est la vraie, et gardons entre elles une stricte neutralité. Tenons-les un instant l’une et l’autre comme également incontestables. Il est assez curieux de savoir si nos modernes romanciers, condamnés par la plus exclusive de ces deux doctrines, peuvent en appeler au tribunal de la plus tolérante. Eh bien ! les deux doctrines ordinairement ennemies sont d’accord pour condamner également les œuvres nouvelles qu’on donne au public depuis quelques années. L’une condamne la conception première de ces œuvres, l’autre en condamne la composition et l’exécution. « Le poète et le romancier ont le droit de prendre leur sujet où il leur plaît, » disent les nouveaux conteurs à la critique intoléranùe qui regarde la littérature comme indissolublement unie à la morale. « Soit, répond la critique, qui regarde la littérature comme distincte de la morale, je vous permets toutes vos fantaisies, pourvu qu’il en résulte une belle chose : sinon, je vous condamne deux fois, au nom de la morale, dont vous avez méconnu l’autorité, et au nom de l’art, dont vous avez outragé les libertés en les faisant dégénérer en licence. Qu’avez-vous fait de