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qu’il possède une vertu prolifique qu’il n’a pas dans la société. Un scandale se produit dans la société : tout le monde élève la voix pour le blâmer, l’excuser ou l’atténuer ; il devient pendant quelques semaines, un objet de controverse, mais personne ne s’avise de le continuer, ni surtout de le recommencer. On n’a pas remarqué que la moyenne des enlèvemens ou des adultères fût augmentée dans les mois qui suivent la découverte d’un enlèvement ou d’un adultère célèbre : il ne vient à l’esprit de personne de se déshonorer par imitation ; mais il en est autrement dans le domaine des lettres. Là tout scandale non-seulement trouve un écho, mais provoque l’émulation et la jalousie. Cette influence n’atteint pas surtout, comme vous pourriez le penser, les cerveaux affaiblis par la fièvre ; on la voit exercer ses ravages sur les cerveaux les plus froids, les plus calmes en apparence. Voici par exemple un admirateur des marquises et des pages de Watteau qui va chercher ses personnages aux bals de l’Opéra moderne et dans les maisons suspectes. Que M. Houssaye y prenne garde, il renie son passé et ses dieux ! Des œuvres comme Mademoiselle Mariani sont un outrage véritable aux sentimens tendres et heureux dont jusqu’à ce jour il avait été le chantre sémillant. L’histoire de Mlle Mariani attristera les divinités galantes et minaudières auxquelles il rend un culte si fervent. Qu’en a pensé Florian ? Je ne sais, mais à coup sûr le maréchal de Richelieu a dû faire une grimace de dégoût. Et la marquise de Pompadour, M. Houssaye croit-il que son livre ait fait sur elle une bonne impression, et ne lui ait rien fait perdre dans son estime ? Je sais bien que M. Houssaye peut répondre qu’en écrivant ce livre malencontreux qui s’appelle Mademoiselle Mariani, il est resté fidèle à lui-même, à sa manière, qu’il n’a pas abandonné son XVIIIe siècle, et qu’au sortir du boudoir de Dorat il est allé tout simplement rendre visite à Rétif de La Bretonne, l’illustre auteur du Pornographe et du Paysan perverti. L’excuse est bonne, et je l’admets ; mais il y a plusieurs XVIIIe siècles, et je croyais que depuis longtemps M. Houssaye avait choisi entre eux. Je ne lui reproche pas de peu fréquenter le monde des philosophes : les complimens flatteurs qu’il s’est cru obligé de tourner en leur honneur témoignent qu’il ne les comprend pas très bien, et Mademoiselle Mariani contient une dissertation sur le panthéisme qui prouve que décidément la philosophie n’est pas sa partie, mais à quoi bon déserter le monde paré, poudré, fardé des comédiennes et des danseuses pour accompagner dans ses équipées nocturnes cet immonde farceur de Casanova ? Casanova l’a déjà mené chez Rétif ; s’il n’y prend garde, il le mènera plus loin encore. Qu’il revienne à ses moutons inoffensifs, et qu’il laisse en paix les boucs et les chèvres aux caprices hardis et insolens !