Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
ROMAN CONTEMPORAIN

CORRUPTION DU ROMAN DE MOEURS.



Le monde littéraire en ce moment n’est pas sans quelque analogie avec la saison même dans laquelle nous entrons. Le sol est encore humide et nu, les rameaux sont encore dépouillés ; cependant une sève, ou, pour mieux parler, une inquiétude secrète semble agiter le sein de la terre et les troncs des arbres. Çà et là quelques pointes de verdure percent discrètement ; on dirait que les germes du nouveau printemps ont été déposés, et qu’au premier jour propice on les verra soudainement éclore. La nature attend, s’impatiente, et demande au temps de se hâter ; mais l’avenir est incertain encore. Que sera ce printemps désiré ? Tiendra-t-il toutes les promesses que son nom réveille ? Les lourdes pluies noieront peut-être les jeunes arbrisseaux, les gelées peuvent détruire et brûler les bourgeons délicats ; une résistance cruelle de l’hiver peut changer en déceptions ces impatientes espérances, car l’hiver est maître de la situation, maître par le droit de durée, par la puissance de l’inertie et la magie de l’habitude. Et puis le grand chef d’orchestre qui préside à toute harmonie et qui règle toutes les voix dans cet universel concert du réveil de la nature, le soleil, n’est pas venu ; il ne vient pas toujours. On a vu des printemps se traîner languissans et décolorés sans avoir connu ce jour de triomphe et de réveil spontané, où, ses mille voix éclatant à l’unisson, la nature prend joyeusement possession d’elle-même. On a même vu des années, et