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fait toujours entre le canon et la culasse une grande déperdition de gaz, qui s’accroît très vite, et empêche, au bout de peu de temps, de compter sur la justesse du tir. La culasse, mobile d’ailleurs, peut bientôt ballotter dans son encastrement et ne plus correspondre avec exactitude au canon, ce qui est une cause sérieuse d’accidens. La solidité des revolvers ne paraît donc pas supérieure à celle de beaucoup d’armes que l’expérience a fait repousser. Il est regrettable sans doute que le défaut de justesse et de solidité empêche de les confier aux tirailleurs, qui peuvent éprouver le besoin d’avoir plusieurs coups à leur disposition ; mais un tel regret doit-il s’étendre aussi à l’infanterie de ligne ? Beaucoup de militaires ne le pensent pas. En présence de la consommation énorme des munitions et de la difficulté de les remplacer, quel avantage y aurait-il à augmenter encore la rapidité du tir aux dépens de la précision ? Le fait est certain : plus on tire, moins on ajuste. Au feu, le soldat le plus brave est sous l’impression d’une surexcitation fébrile ; il charge son fusil et tire sans s’arrêter, tant qu’il a des cartouches : il tire sur un ennemi hors de portée, il tire même souvent sur un ennemi imaginaire ; puis tout à coup, lorsque sa giberne est vidée, lorsqu’il se croit désarmé, il peut céder à une de ces paniques incroyables dont l’histoire nous offre trop souvent l’exemple. Augmenter les moyens de consommer des munitions sans chercher à en rendre l’emploi plus efficace serait poursuivre un résultat illusoire, et comme l’on n’a pas toujours la possibilité de remplir sur-le-champ les cartouchières épuisées, ce serait commettre une faute grave avec un corps composé de vétérans, courir à sa perte avec de jeunes soldats.

D’après une maxime constante des armées françaises, que l’expérience n’a jamais infirmée, la fusillade ne fait que préparer une action, le combat corps à corps seul la rend décisive. Le perfectionnement des armes à feu, la certitude acquise par le tir éloigné vont rendre les luttes corps à corps bien plus difficiles qu’autrefois, et pour qu’elles deviennent possibles, il faudra remplir des conditions de tactique nouvelles. Ce dernier côté de la question offre à nos officiers un sujet d’études bien autrement important qu’une rapidité excessive du tir ou l’extension des portées à des distances où l’œil le plus exercé ne saisit plus rien de distinct. Il est aussi plus intéressant, et c’est à bon droit que l’art de conduire les armées a toujours été regardé comme supérieur à la tâche de pourvoir à leur défense ou à leurs besoins.


PIERRE DE BUIRE