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Le fusil de munition, avec lequel nos soldats ont fait toutes les guerres de la révolution et de l’empire, était, avant comme après le changement de platine, une bonne arme, solide et commode, d’un tir fort satisfaisant jusqu’à 100 mètres de distance et même jusqu’à 200. Au-delà, pour toucher un homme, il fallait viser au-dessus de sa tête d’une quantité difficile à connaître, ce qui ôtait toute précision au feu, et les déviations de la balle même devenaient assez fortes, quoiqu’elle eût une action efficace jusqu’à 450 mètres. Le fusil de munition valait cependant toutes les armes à feu portatives alors connues : sans rival comme arme de troupe, il n’était inférieur, comme précision et comme portée, qu’à la carabine des tirs, dont, malgré un mode de chargement très compliqué, les Tyroliens avaient l’habitude de se servir à la guerre comme à la chasse. Ces chasseurs émérites devaient à un coup d’œil formé par une longue habitude et à la justesse de leur arme une réputation d’excellens tirailleurs qu’ils méritaient complètement.

La première idée des carabines est loin d’être nouvelle ; on l’attribue à deux armuriers allemands, Gaspard Zollaer de Vienne et Koller de Nuremberg, qui vivaient l’un et l’autre dans les dernières années du XVe siècle. Tout le monde a pu en voir dans les tirs, elles portent à l’intérieur un certain nombre de rayures inclinées et peu profondes ; la balle, d’un calibre un peu plus fort que le diamètre de l’âme, ne peut y entrer que chassée ou forcée à coups de maillet. De là est venu le nom d’armes forcées sous lequel les carabines sont fréquemment désignées. L’opinion générale attribuait la précision de leur tir à la suppression du vent[1], ce qui permettait d’utiliser toute la force de la charge et obligeait la balle à suivre sans dévier la direction du tube qui la guidait d’une façon si étroite. Cela n’est qu’à moitié vrai, les causes réelles de la précision du tir avec les armes rayées sont beaucoup plus complexes ; mais pour faire apprécier la grande supériorité que les travaux de quelques officiers français ont donnée aux nouvelles armes portatives, il est nécessaire d’entrer dans quelques détails techniques sur la marche de la balle dans l’intérieur du fusil après sa sortie, et sur les déviations qu’elle éprouve.

Lorsque l’on se sert de fusils à canon lisse, la crasse qui en diminue très vite le diamètre, et l’habitude d’envelopper le projectile dans le papier de la cartouche, obligent à donner aux balles une dimension un peu plus faible que celle de l’arme. Outre la perte de gaz qui résulte de cette différence, il arrive que la balle a son centre

  1. On désigne par cette expression le vide qui existe entre le projectile et les parois de l’arme qui doit le lancer.