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désuétude. Les choses ne se sont point passées ainsi cependant. Longtemps les arcs et les arbalètes firent une rude concurrence aux armes nouvelles. Les peuples du Nord surtout, attachés à d’anciennes habitudes, continuaient à se servir de leurs vieux engins quand l’usage en avait déjà tout à fait disparu dans le midi de l’Europe. Est-il possible de lire sans surprise qu’en 1627, à l’attaque de l’île de Ré, les Anglais comptaient encore des archers dans leurs rangs ? C’est la dernière fois du reste qu’ils ont figuré dans une armée régulière, car il ne saurait être question de donner ce titre à quelques hordes tartares appelées du fond de la Russie en 1813 pour prendre part à la grande croisade des nations contre la France : ces sauvages étaient d’ailleurs partis de si loin qu’ils arrivèrent trop tard pour prendre part à la lutte. Ce qui paraît plus remarquable encore que cet attachement exagéré à de vieux usages, c’est que les armes d’un calibre moyen, et souvent même les gros canons, précédèrent de bien des années les armes portatives, malgré les difficultés sérieuses qu’a dû rencontrer la fabrication de très grandes pièces de métal susceptibles d’une résistance suffisante. Ce fait s’explique cependant en partie, car dans le principe, la poudre étant médiocre, les projectiles n’avaient que peu de force et de justesse. Afin d’obtenir, à de faibles distances, des effets de pénétration assez grands pour traverser les cuirasses des chevaliers, il fallait presque toujours employer des armes lourdes, qui avaient besoin d’un point d’appui sur le sol. Ce point d’appui servait aussi à atténuer la violence du recul, et lorsque les armes à feu furent assez allégées pour que la manœuvre pût en être confiée à un seul homme, on crut encore nécessaire de le soulager. Les arquebuses des premiers temps reposaient sur une fourchette, ou étaient munies d’un croc, destiné à s’arc-bouter contre un obstacle fixe. Ces accessoires, en augmentant le poids des armes, les rendaient incommodes et peu maniables ; sans nul doute, ils en retardèrent beaucoup la propagation. Dès le XVIe siècle pourtant, des arquebuses assez légères étaient fort répandues en Italie, en France et en Espagne ; elles jouèrent un rôle très important à la défaite de Pavie. Les guerres de religion contribuèrent à populariser chez nous des armes plus portatives encore, les mousquets, dont l’usage ne devint tout à fait général que pendant la guerre de trente ans.

Il y a des momens où, après une longue période de stagnation, une science ou une industrie fait tout d’un coup, sous l’énergique impulsion d’un homme, un remarquable progrès. Il en fut ainsi pour la fabrication et l’usage des armes à feu sous le règne de Gustave-Adolphe. Lorsque ce prince, le héros de la Suède, descendit en Allemagne pour y combattre la prépondérance de la maison d’Autriche, il se prépara à cette grande entreprise avec une maturité